Poétesses symphoniques

Chronique

La puissante lame de fond du mouvement #MeToo apporte avec elle une féminisation de la culture longtemps attendue. C’en est donc fini du placard dans lequel on cantonnait depuis des lustres les compositrices ou les cheffes d’orchestre.
Sous le titre de Poétesses symphoniques cet album vient nous prouver, s’il en était besoin, que la vigueur et la puissance ne sont pas des apanages exclusivement masculins avec ce programme consacré à quatre créatrices sur deux siècles. Surfant sur la vague du poème symphonique dérivé du modèle lisztien qui a vu fleurir en France, entre autres, la Danse macabre de Saint-Saëns, L’Apprenti sorcier de Paul Dukas et plusieurs pièces de César Franck, Augusta Holmès et Mel Bonis, toutes deux élèves de Franck, vont poursuivre cette voie elles aussi avec bonheur. L’influence wagnérienne, palpable dans toute la musique française de cette époque, est patente dans Andromède de Holmès composé sur un poème en alexandrins de la plume de la compositrice elle-même. C’est une oeuvre d’une grande intensité magistralement orchestrée. Entre orientalisme et symbolisme, Mel Bonnis écrivit toute une série d’œuvres à la gloire de nombreux destins féminins dont Cléopâtre, Ophélie et Salomé représentés dans ce programme. Disparue prématurément à l’âge de 24 ans, Lili Boulanger était beaucoup plus qu’un talent prometteur. Toutes ses œuvres portent la marque d’une personnalité originale et très affirmée. Le diptyque présenté ici, D’un soir triste et D’un matin de printemps, terminé quelques jours seulement avant son décès, évoque de manière saisissante les deux facettes de cette compositrice, entre angoisse de la mort, pulsion de vie et espoir fou de la jeunesse à travers un style et une orchestration s’inscrivant dans la modernité de son temps. Ce superbe programme se termine par l’éternelle jeunesse de Betsy Jolas qui avait 89 ans lors de la création de A Little Summer Suite (Une petite suite d’été) qui lui fut commandée par Simon Rattle et l’Orchestre Philharmonique de Berlin. La doyenne des compositrices françaises s’est inspirée des Tableaux d’une exposition de Moussorgski au cours des sept mouvements décrivant avec brio les divers aspects d’une saison estivale. Une leçon de vie présentée, comme le reste du programme, avec un soin précis autant que narratif par David Reiland à la tête de l’excellent Orchestre National de Metz Grand Est. © François Hudry/Qobuz