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Chris Whitley

A l'aube des années 90, lorsque le diable Chris Whitley surgit de sa boite, le blues en est à son 656e ou 657e  revival, on ne sait plus trop… Mais lui, c'est pourtant différent. Une différence qui saute encore plus aux yeux, quelques semaines seulement après ce costard en sapin offert par un cancer des poumons… Réécouter sa grosse dizaine d'albums. Regarder posément ce visage émacié de Chet Baker filiforme aux airs de Vanessa Paradis. Fermer les yeux et repenser à ses concerts chamaniques. Des différences qui éloignent radicalement (si, si) Chris Whitley des Ben Harper, Kelly Joe Phelps, Alvin Youngblood Hart, Corey Harris et autres respectables taxidermistes de la note bleu.


L'homme est texan mais nomade avant tout. Comme sa musique. Jamais vissé dans un cabanon miteux du Delta du Mississippi. Whitley est né à Houston mais a rapidement enfilé les escales dès le plus jeune age. Le Vermont, le Mexique, New York et puis l'Europe, Gand d'abord, Dresde plus tard. La Vierge, il l'aurait vu, ou plutôt entendu, sur "Dallas", le troisième titre du premier album de Johnny Winter. Ce slide fou furieux coulant du dobro de l'albinos, Chris Whitley le conservera dans ses gènes jusqu'à son dernier souffle… Sa rencontre avec Daniel Lanois au début des années 90 lui permet de décrocher un contrat avec Columbia et de mettre en boite "Living With The Law". Et même si ce premier album de 1991 est fortement marqué par l'empreinte ouatée du producteur québécois, Whitley y place déjà tous ses pions. Une plume sombrissime. Un jeu violent qui résonne dans toute la ferraille de sa National. Cette voix alternant talkin' blues sincère, falseto divin, gémissement habité. Et cette impression d'allure de marcheur du 10.000 mètres qui avance, avance, a beau trébucher, mais va jusqu'au bout. Pas grand chose ne peut l'arrêter…


Quatre années sépareront ce premier disque de l'abrasif "Din Of Ecstasy" qui sort en 1995. Le grunge est en tête de gondole et ceux qui ont encensé "Living With The Law" qualifient rapidement d'opportuniste ce deuxième album ouvertement rock'n'roll, bruyant, lancinant comme du Soundgarden sous Lexomile. Le format des compositions et leurs refrains aguicheurs interpellent quelque peu… Bref, on est à deux doigts de faire à Chris Whitley le coup de Dylan virant électrique en 66. Mais deux ans plus tard, "Terra Incognita" rassure ses fidèles en fusionnant les deux premiers opus. Pourtant, notre homme n'a pas encore composé ses pièces les plus à vif. Et l'habillage semble étouffer le vrai malin qui sommeille en lui. C'est seul, avec sa quincaillerie de toujours (dobro, guitare, banjo) qu'il s'attaque à "Dirt Floor" en 1998. Et cette nudité transcende clairement sa prose de conteur de maux mais surtout la structure même de sa musique. Rien à voir avec un retour vers une quelconque authenticité. Whitley n'a en effet pas besoin de ça, il n'a jamais trahi son art. Ce court album redonne juste d'avantage d'intensité à ses histoires tordues et à son organe élastique qu'on ne célèbre guère assez.


Avec un dépouillement similaire, un enregistrement public est mis en boite à Chicago l'été suivant. Ce "Live At Martyr's" compile parfaitement le temps écoulé dans un écrin brut et sans chichi. Et plutôt que d'implorer les fantômes de Lightnin' Hopkins et Robert Johnson, Whitley s'amuse à grimer… "The Model" de Kraftwerk! Les reprises seront d'ailleurs au centre de "Perfect Day" sur lequel il s'entoure de la rythmique de Chris Wood et Billy Martin (du trio frappadingue Medeski Martin & Wood). Dylan ouvre et referme ce recueil qui déshabille puis désosse également les Doors, Muddy Waters, Robert Johnson, Willie Dixon, Hendrix, Lou Reed et quelques autres. Le cliché de la substantifique moelle est magnifié. Simples relectures? Non. Whitley s'approprie toutes ces pièces qu'il ficelle de sa slide hypnotique, Martin & Wood ponctuant juste avec classe et retenue. Et puisque complexe et en perpétuelle remise en cause, il plongera ensuite les tables de sa loi dans des saveurs électroniques, soul ou world avec "Rocket House", ultime fourre-tout avant une dernière ligne droite qui lui ressemble davantage: feutré "Hotel Vast Horizon", furieux "War Crime Blues", solitaire "Weed" et riche "Soft Dangerous Shore".


"War Crime Blues" est peut-être un bon condensé de Chris Whitley. Sur cette incantation des plus crue, l'héritier des fantômes du Mississippi passés par la case punk (il reprend Lou Reed et les Clash) s'encombre du néant. Brutal. Une prise, une seule. Des déflagrations virant à l'atmosphérique, jamais au new-age. David Fricke a écrit dans Rolling Stone que Whitley se trouvait quelque part entre le Robert Johnson de 1936 et la solitude douloureuse du Nick Drake de "Pink Moon". Où qu'il soit, et puisque que ça n'est plus sur terre, le Texan est enfin paré pour être apprécié à sa juste valeur. Car mortes et enterrées, les légendes grandissent toujours malheureusement beaucoup plus vite…


par Marc Zisman / Rock & Folk janvier 2006

Discographie

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