Venus Rising

Chronique

C’est l’histoire d’une amitié : celle qui unit la chanteuse franco-canadienne Kyrie Kristmanson et les percussionnistes du Trio SR9, Alexandre Esperet, Nicolas Cousin et Paul Changarnier. Depuis quelques collaborations isolées sur des mélodies de Fauré, dont la très belle “Les Berceaux” qui figurait sur un précédent album des SR9, Ravel Influence(s), l’idée les démangeait d’enregistrer un disque tous les quatre. C’est l’histoire aussi d’un fâcheux oubli, ou plutôt d’un triste effacement, multiséculaire : celui des femmes compositrices. Trop souvent retenues comme “épouse, soeur ou fille de”, leurs exemples sont légion : Fanny Hensel, Clara Schumann, Anna Maria Mozart… « Anonyme, qui a écrit tant de poèmes sans les signer, était souvent une femme »  nous dit Virginia Woolf, citée par la journaliste Aliette de Laleu dans le livret d'accompagnement. C’est l’histoire enfin d’une réhabilitation par delà les siècles et les répertoires : de Barbara Strozzi à Lili Boulanger, en passant par Hildegarde von Bingen ou Harriet Abrams. Avec Venus Rising on aura droit à 12 mélodies vibrantes et puissantes, qui s’en viennent ressusciter la création au féminin, et des textes sensibles qui chantent l’intemporel et l’universel : le manque de l’être aimé (Hai Luli - Pauline Viardot), le mystère de la nuit (June Twilight  Rebecca Clarke), la parole manquante (Talk - Kyrie Kristmanson). Mais c’est surtout l’histoire d’un artisanat sonore, et au fond, d’un immense et magnifique choc esthétique. Avec leur instrumentarium complètement foutraque à base de piano préparé, crissement de cordes et autres verres d’eau accordés, les garçons turbulents du Trio SR9 et Kyrie Kristmanson avec son ensorceleuse voix de chaton nous emmènent vers un ailleurs dont on ne voudrait jamais revenir. Alors oui, ça chatouille, ça dérange, et les arrangements sophistiqués de Grégoire Letouvet risquent peut-être d’en dérouter quelques-uns, mais elle réside sans doute là, la véritable liberté de ton. Et celle du quatuor ainsi formé est des plus inspirantes. Elle est bien palpable, on la sent et on la tient, cette musique pleinement vivante pour le temps présent. © Pierre Lamy/Qobuz