All Born Screaming

Chronique

Même quand tout va mal, St. Vincent a tout bon. D’après ce qu’on a pu lire ici ou là, l’Américaine a conçu cet album pour refléter l’état du monde post-Covid – peut-être plus abîmé qu’il ne le laisse montrer. Ce serait aussi un des rares disques où Annie Clark – alias St. Vincent – ne joue pas un rôle, mais s’exprime au premier degré sur des sujets aussi essentiels et sérieux que la vie, l’amour et la mort. Comme l’époque dont il découle et qu’il reflète, cet album est sombre, angoissé, il donne parfois envie de pleurer ou de crier. Mais comme c’est un disque de St. Vincent – une des entités créatives les plus intéressantes dans la pop depuis plus de dix ans -, il est aussi brillant, surprenant, bluffant et redonne un élan physique vital. Comme d’habitude, la musique de St. Vincent est impossible à ranger dans une seule case : un mélange impressionnant et un carambolage périlleux de sons, d’ambiances, d’influences, d’émotions, avec autant de rage que de groove, d’envolées pop-prog que de concision post-punk, d’abandon que de concentration. All Born Screaming est un disque tendu, dense et intense, plein de douleur et exigeant, mais aussi jouissif et physique, taillé pour la danse, fut-ce sur des braises ou sous les bombes. L’esprit farceur et brillant des Talking Heads plane encore une fois sur la musique de St. Vincent. Mais rôde aussi celui damné de Nine Inch Nails, celui rouge de colère de la PJ Harvey à grosses guitares des années 90, ou celui, qui ne rôde pas mais danse, de Prince. Et dans la tradition de toutes ces références (on pourrait ajouter la fantaisie débridée de Kate Bush), St. Vincent est une des artistes actuelles qui construit une discographie et une œuvre, à l’ancienne. © Stéphane Deschamps/Qobuz