Yusef Lateef
Précurseur de la fusion entre jazz et musiques du monde, Yusef Lateef était un souffleur unique, aussi magique aux commandes d’un saxophone ténor que d’une flûte (ses deux armes de prédilection) ou même d’un hautbois voire de nombreux instruments plus exotiques (shehnai, chophar, xun, arghoul, koto, etc.). Dans l’histoire du jazz, Lateef était un être à part, d’une sensibilité et d’un raffinement précieux, et d’une curiosité qui habitera sa musique. Grâce à lui, le jazz ouvre ses oreilles vers d’autres sons, d’autres textures musicales, orientales notamment. Yusef Lateef était également porte-parole de la Communauté Musulmane Ahmadiyya après sa conversion à l’islam en 1950.
Né William Emanuel Huddleston le 9 octobre 1920, à Chattanooga dans le Tennessee, le musicien grandit dans diverses villes, Lorain dans l’Ohio d’abord puis Detroit dans le Michigan où son père décide de changer le nom de famille en Evans. Pour l’amusante anecdote, Yusef Lateef utilisera d’ailleurs le nom de Bill Evans lors de ses premiers concerts professionnels jusqu’à sa conversion en 1950…
A ses débuts, Lateef côtoie la scène de Detroit et fréquente les futures pointures locales comme le vibraphoniste Milt Jackson, le contrebassiste Paul Chambers, le batteur Elvin Jones et le guitariste Kenny Burrell. Dès l’âge de 18 ans, il devient professionnel et se produit au sein de plusieurs big bands. En 1949, Dizzy Gillespie l’invite à partir en tournée avec son orchestre. L’année suivante, il rentre à Detroit et se lance dans des études de composition et de flûte à la Wayne State University. C’est à cette époque qu’il intègre la Communauté Musulmane Ahmadiyya.
En 1957, les choses sérieuses commencent pour lui et le label Savoy Records publie son premier album en tant que leader. Le contrat n’étant pas exclusif, Yusef Lateef enregistre à la même période pour New Jazz Records, une sous-division de l’écurie Prestige. En 1961, avec des disques comme Into Something et Eastern Sounds, son charisme, certes feutré, de leader s’impose un peu plus. Comme s’imposent également les volutes orientales qui infiltrent, avec subtilité, sa musique, grâce notamment à l’utilisation de divers instruments (rahab, shanai, arghul, koto et une collection de flutes chinoises) qui cohabitent avec son ténor et sa flûte. La fusion (la vraie !) entre jazz et musiques du monde vit sans doute ici ses premiers balbutiements… Un style qui influencera d’ailleurs John Coltrane… Cette activité solo n’empêche guère Yusef Lateef de travailler avec d’autres jazzmen comme au sein du quintet de Cannonball Adderley entre 1962 et 1964.
Entre 1963 et 1966, Lateef enregistre sur le label de Coltrane, Impulse!, et travaille régulièrement avec le trompettiste Richard Williams et le pianiste Mike Nock. Un live au Pep's Lounge capté en juin 1964 restera d’ailleurs dans les annales, publié au disque en deux volumes… A la fin des années 60, le musicien commence à incorporer dans sa musique des éléments de soul contemporaine et de gospel. De nouveaux apports à son art qu’il a toujours refusé de qualifier de jazz, terme trop réducteur selon lui… Durant les années 80, sa musique slalomera même jusqu’en terre new age. En 1987, son disque Little Symphony remportera d’ailleurs le Grammy Award du meilleur album new age !
En 1992, Yusef Lateef fonde son propre label, YAL Records. L’année suivante, l’Orchestre de la Westdeutscher Rundfunk lui commande une suite, The African American Epic Suite, pièce pour orchestre et quartet évoquant l’affranchissement des esclaves aux États-Unis. Œuvre qui sera jouée par l’Atlanta Symphony Orchestra et le Detroit Symphony Orchestra. Dans sa vaste discographie, on trouve également ce beau projet récent aux côtés de Lionel et Stéphane Belmondo. En 2005, les deux frères l’invitent à enregistrer avec eux Influence, superbe double album mêlant jazz et musique classique... Yusef Lateef s'éteint le 23 décembre 2013 d’un cancer de la prostate à l'âge de 93 ans.
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