Franz Schubert
Franz Schubert (1797-1828) détient le record peu enviable du « grand compositeur mort le plus jeune » : trente et un ans, dont plusieurs années de déprime stérile. Et pourtant, il a réussi le miracle d'écrire quasiment un millier d'oeuvres, dont beaucoup appartiennent au panthéon des plus géniaux ouvrages de l'esprit humain.Là où la biographie de tant de musiciens est un bouillonnant Niagara d'événements et de coups de théâtre, la vie de Schubert est un court ruisseau tranquille. Une enfance familiale sans heurts ni intérêt, une jeunesse à enseigner des petites classes dans l'école de son père, avant qu'il ne quitte le domicile paternel pour une vie de squat chez des amis. Schubert fut un véritable SDF musical, vivotant de quelques cours, de quelques rares pièces jouées occasionnellement, et préféra errer de taverne en taverne, de promenade en promenade, de dame de passage en syphilis, plutôt que de s'engoncer dans une vie sociale trop réglée. En réalité son rayon vital ne dépassa guère une cinquantaine de lieues autour de Vienne. Il prit quelques cours avec Antonio Salieri, et décida «enfin» à l'âge de trente ans de se perfectionner en technique de composition musicale - pour mourir deux mois plus tard. Il ne fut jamais ni riche ni pauvre, préférant vivoter aux crochets de ses amis qui le prenaient volontiers sous leur protection car c'était un gai camarade, qui échangeait les chopines contre de la musique à foison. Car c'est dans ces tavernes que naquirent quelques-unes de ses plus phénoménales oeuvres, en particulier les Lieder, les choeurs (un répertoire catastrophiquement oublié alors qu'il renferme des trésors) et les pièces pour piano, au cours de soirées rapidement appelées Schubertiades par ses amis eux-mêmes, où l'attention se partageait entre musique, saucisses, bière et demoiselles. Certes, il ne connut pas la gloire de son vivant mais ses contemporains sentaient bien qu'en ce doux timide effacé bouillonnait de l'or en fusion ; quelque temps après sa mort, ses contemporains découvrirent les invraisemblables trésors de son oeuvre : Schumann, Liszt, Mendelssohn surent le tirer de son anonymat posthume et le hisser rapidement au sommet de la gloire. Un peu tard pour Schubert certes, qui, s'il avait vécu, aurait rapidement accédé au statut de l'un des musiciens les plus célèbres de son temps.
Le répertoire dans lequel il est de nos jours le plus célèbre est sans conteste celui du Lied, la mélodie d'expression allemande (la contrepartie française s'appelle mélodie, l'anglaise artsong, la russe romance) : on compte quelque six cents Lieder, dont plusieurs ont acquis le statut d'icône de l'intelligence humaine. On pense naturellement au Roi des aulnes, un chef-d'oeuvre de ses dix-huit ans, dont le jeune musicien envoya d'ailleurs copie à Goethe - qui n'eut pas le flair de comprendre que sa ballade gagnait ainsi la place de l'une des mélodies les plus célèbres au monde, voire la plus célèbre : il ne répondit même pas -, mais aussi aux deux immenses cycles que sont La Belle meunière et Le Voyage d'hiver, des sommets d'humanité, de joie, de peines et finalement de mort. Le plus étonnant est que ces pièces furent souvent gribouillées sur un coin de table de taverne, pour être chantées illico par les amis rassemblés.
Comme tant d'autres avant et après lui - Beethoven, Dvorák, Mahler -, Schubert écrira neuf symphonies, même s'il ne semble pas s'être préoccupé de ce chiffre «fatidique». La dernière, dite La Grande, est l'une des plus longues symphonies d'alors : 55 minutes d'ineffable bonheur. Schubert n'eut pas l'occasion de l'entendre et le manuscrit ne fut exhumé qu'en 1840 par Schumann, qui la fit jouer par Mendelssohn avec un immense succès. L'autre célèbre symphonie de Schubert est l' «Inachevée», deux mouvements d'une beauté irréelle. Pourquoi, demanderez-vous, est-elle restée inachevée ? Schubert est-il mort la plume à la main ? Les mouvements manquants ont-ils été la proie des flammes, d'une inondation, d'une invasion martienne ? Que nenni. En réalité, Schubert a bel et bien écrit le troisième mouvement, un scherzo : au quart orchestré, le reste entièrement écrit en «Particell», le grand brouillon symphonique de l'époque. Or, ce scherzo est tout simplement médiocre, et Schubert devait le savoir plus qu'un autre. Il a donc laissé l'esquisse en plan.
Outre les Lieder et le répertoire symphonique, Schubert nous a légué une belle brochette de sonates pour le piano, d'une ampleur tout à fait inusitée (n'oublions pas qu'il est mort seulement un an après Beethoven, et que leurs ultimes sonates sont contemporaines, à six ou huit ans près), elles aussi chargées de « divines longueurs », pour reprendre la locution de Schumann ; ainsi qu'une forte poignée de pièces pour piano isolées, sans titre aucun, sans forme précise... leurs noms actuels, Impromptus et Moments musicaux, ne sont pas même de Schubert. Enfin, on lui doit quelques-unes des plus sublimes pages de musique de chambre, à commencer par ses quatuors tout à fait révolutionnaires dans le discours harmonique, dans la largeur du geste musical, dans l'insondable émotion qu'ils dégagent ; ainsi que le plus beau quintette qui soit, le Quintette avec deux violoncelles, et deux trios avec piano dont les thèmes sont ce que Schubert a écrit de plus merveilleux.
Curieusement, on trouve chez lui cette tendance, qu'il partage avec Brahms, à mêler l'inspiration populaire viennoise, l'inspiration (pseudo)-hongroise et l'inspiration la plus sublime qui soit, comme s'il avait voulu parfois contenir des épanchements trop émouvants. La Truite est un excellent exemple de cette juxtaposition : le thème primesautier de la truite côtoie les moments les plus «purs» des autres mouvements. Les hongroiseries, quant à elles, répondent à la mode d'alors de s'acoquiner avec les musiques plus ou moins bohémiennes ou tziganes, sans trop se préoccuper d'ethnomusicologie appliquée.
Après un petit triomphe public le 28 mars 1828, lorsque l'on donna le seul et unique concert consacré à ses oeuvres de son vivant - offrant au compositeur la joie de la reconnaissance et l'assurance que sa musique serait sans doute comprise par les générations à venir -, Schubert s'éteignait à la fin de l'année, suivant de peu Beethoven, à l'enterrement de qui il avait lui-même officié comme porte-flambeau. Leurs deux dépouilles reposent désormais côte à côte dans le carré des musiciens du Cimetière central de Vienne.
MT © Qobuz 01/2013
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Franz Schubert (1797-1828) détient le record peu enviable du « grand compositeur mort le plus jeune » : trente et un ans, dont plusieurs années de déprime stérile. Et pourtant, il a réussi le miracle d'écrire quasiment un millier d'oeuvres, dont beaucoup appartiennent au panthéon des plus géniaux ouvrages de l'esprit humain.
Là où la biographie de tant de musiciens est un bouillonnant Niagara d'événements et de coups de théâtre, la vie de Schubert est un court ruisseau tranquille. Une enfance familiale sans heurts ni intérêt, une jeunesse à enseigner des petites classes dans l'école de son père, avant qu'il ne quitte le domicile paternel pour une vie de squat chez des amis. Schubert fut un véritable SDF musical, vivotant de quelques cours, de quelques rares pièces jouées occasionnellement, et préféra errer de taverne en taverne, de promenade en promenade, de dame de passage en syphilis, plutôt que de s'engoncer dans une vie sociale trop réglée. En réalité son rayon vital ne dépassa guère une cinquantaine de lieues autour de Vienne. Il prit quelques cours avec Antonio Salieri, et décida «enfin» à l'âge de trente ans de se perfectionner en technique de composition musicale - pour mourir deux mois plus tard. Il ne fut jamais ni riche ni pauvre, préférant vivoter aux crochets de ses amis qui le prenaient volontiers sous leur protection car c'était un gai camarade, qui échangeait les chopines contre de la musique à foison. Car c'est dans ces tavernes que naquirent quelques-unes de ses plus phénoménales oeuvres, en particulier les Lieder, les choeurs (un répertoire catastrophiquement oublié alors qu'il renferme des trésors) et les pièces pour piano, au cours de soirées rapidement appelées Schubertiades par ses amis eux-mêmes, où l'attention se partageait entre musique, saucisses, bière et demoiselles. Certes, il ne connut pas la gloire de son vivant mais ses contemporains sentaient bien qu'en ce doux timide effacé bouillonnait de l'or en fusion ; quelque temps après sa mort, ses contemporains découvrirent les invraisemblables trésors de son oeuvre : Schumann, Liszt, Mendelssohn surent le tirer de son anonymat posthume et le hisser rapidement au sommet de la gloire. Un peu tard pour Schubert certes, qui, s'il avait vécu, aurait rapidement accédé au statut de l'un des musiciens les plus célèbres de son temps.
Le répertoire dans lequel il est de nos jours le plus célèbre est sans conteste celui du Lied, la mélodie d'expression allemande (la contrepartie française s'appelle mélodie, l'anglaise artsong, la russe romance) : on compte quelque six cents Lieder, dont plusieurs ont acquis le statut d'icône de l'intelligence humaine. On pense naturellement au Roi des aulnes, un chef-d'oeuvre de ses dix-huit ans, dont le jeune musicien envoya d'ailleurs copie à Goethe - qui n'eut pas le flair de comprendre que sa ballade gagnait ainsi la place de l'une des mélodies les plus célèbres au monde, voire la plus célèbre : il ne répondit même pas -, mais aussi aux deux immenses cycles que sont La Belle meunière et Le Voyage d'hiver, des sommets d'humanité, de joie, de peines et finalement de mort. Le plus étonnant est que ces pièces furent souvent gribouillées sur un coin de table de taverne, pour être chantées illico par les amis rassemblés.
Comme tant d'autres avant et après lui - Beethoven, Dvorák, Mahler -, Schubert écrira neuf symphonies, même s'il ne semble pas s'être préoccupé de ce chiffre «fatidique». La dernière, dite La Grande, est l'une des plus longues symphonies d'alors : 55 minutes d'ineffable bonheur. Schubert n'eut pas l'occasion de l'entendre et le manuscrit ne fut exhumé qu'en 1840 par Schumann, qui la fit jouer par Mendelssohn avec un immense succès. L'autre célèbre symphonie de Schubert est l' «Inachevée», deux mouvements d'une beauté irréelle. Pourquoi, demanderez-vous, est-elle restée inachevée ? Schubert est-il mort la plume à la main ? Les mouvements manquants ont-ils été la proie des flammes, d'une inondation, d'une invasion martienne ? Que nenni. En réalité, Schubert a bel et bien écrit le troisième mouvement, un scherzo : au quart orchestré, le reste entièrement écrit en «Particell», le grand brouillon symphonique de l'époque. Or, ce scherzo est tout simplement médiocre, et Schubert devait le savoir plus qu'un autre. Il a donc laissé l'esquisse en plan.
Outre les Lieder et le répertoire symphonique, Schubert nous a légué une belle brochette de sonates pour le piano, d'une ampleur tout à fait inusitée (n'oublions pas qu'il est mort seulement un an après Beethoven, et que leurs ultimes sonates sont contemporaines, à six ou huit ans près), elles aussi chargées de « divines longueurs », pour reprendre la locution de Schumann ; ainsi qu'une forte poignée de pièces pour piano isolées, sans titre aucun, sans forme précise... leurs noms actuels, Impromptus et Moments musicaux, ne sont pas même de Schubert. Enfin, on lui doit quelques-unes des plus sublimes pages de musique de chambre, à commencer par ses quatuors tout à fait révolutionnaires dans le discours harmonique, dans la largeur du geste musical, dans l'insondable émotion qu'ils dégagent ; ainsi que le plus beau quintette qui soit, le Quintette avec deux violoncelles, et deux trios avec piano dont les thèmes sont ce que Schubert a écrit de plus merveilleux.
Curieusement, on trouve chez lui cette tendance, qu'il partage avec Brahms, à mêler l'inspiration populaire viennoise, l'inspiration (pseudo)-hongroise et l'inspiration la plus sublime qui soit, comme s'il avait voulu parfois contenir des épanchements trop émouvants. La Truite est un excellent exemple de cette juxtaposition : le thème primesautier de la truite côtoie les moments les plus «purs» des autres mouvements. Les hongroiseries, quant à elles, répondent à la mode d'alors de s'acoquiner avec les musiques plus ou moins bohémiennes ou tziganes, sans trop se préoccuper d'ethnomusicologie appliquée.
Après un petit triomphe public le 28 mars 1828, lorsque l'on donna le seul et unique concert consacré à ses oeuvres de son vivant - offrant au compositeur la joie de la reconnaissance et l'assurance que sa musique serait sans doute comprise par les générations à venir -, Schubert s'éteignait à la fin de l'année, suivant de peu Beethoven, à l'enterrement de qui il avait lui-même officié comme porte-flambeau. Leurs deux dépouilles reposent désormais côte à côte dans le carré des musiciens du Cimetière central de Vienne.
MT © Qobuz 01/2013
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