Playlist : Chilly Gonzales écoute...

À propos

A l’occasion de la sortie de son nouvel album « Solo Piano III », Chilly Gonzales a sélectionné pour Qobuz les albums qui ont marqué son éducation musicale, et dont vous retrouverez les titres marquants dans cette playlist exclusive.

1. Frankie Goes To Hollywood - Welcome To The Pleasure Dome J'ai un frère aîné et une sœur plus âgée, donc comme beaucoup de gens, mon goût a en quelque sorte été façonné par ce qu'ils aiment, mais je suppose que Frankie Goes To Hollywood était la première vraie musique de mon genre. Je pense que cela avait vraiment à voir avec la personnalité super-vilaine de Holly Johnson, encore plus que la musique. Ce type semblait se venger en étant une pop star. Et dans une certaine mesure, il y avait tellement d'énergie malicieuse dans ce qu'il faisait que cela m'a inspiré, il a pris la négativité et l'a transformée en quelque chose de positif.

2. Prince - Sign "O" the Times

Je pense qu'il n'y a peut-être que deux chansons avec Revolution, et le reste d'entre elles est composée de beaucoup de programmation de batterie par Prince qui joue toutes les parties lui-même. C'est une vision si singulière, vous entendez juste un génie créatif qui fait tout et je pense que cela conduit à un certain style de création musicale… tout mon travail de production était basé sur cette idée que l’on a les arrangements en tête avant de commencer, si une personne le fait, il y a beaucoup moins de chances que chaque musicien essaie de créer son propre ego.

3. Stevie Wonder - Fullingness' First Finale

Je suppose que Prince m'a conduit à Stevie Wonder. Je l’ai écouté en premier, vers l'âge de 14 ou 15 ans, et cela m'a ensuite conduit à Stevie Wonder. Comme beaucoup de musiciens, tu aimes la musique funk, tu aimes l'idée du groove parfait, mais ça n'a jamais été suffisant pour moi, je ne pouvais jamais juste écouter The Gap Band ou Kool & The Gang sans sourciller. Avec Stevie Wonder, il y a l'aspect européen, l'aspect Mozart, que Prince détient également, et cela vient de leur vision globale : le groove est là, au final, pour soutenir l'écriture basée sur la musique, et non pas sur les paroles. Les paroles de Stevie Wonder et de Prince sont plutôt aléatoires – et quand ils en ont de bonnes, c'est comme un accident.

4. Prokofiev - Piano Concertos 2 and 3 Jusque-là, la musique classique représentait pour moi, comme pour beaucoup de gens, des trucs plutôt poussiérieux - Mozart, Beethoven, tout ce qui ne pouvait tout simplement pas me parler. Dans ma phase dévorante de l'adolescence, Prokofiev était essentiellement la première chose suffisamment compliquée qui me rappelait ce que j'aimais dans le jazz et qui ressemblait à ce que j'aimais dans la musique pop.

5. Glenn Gould - Brahms Intermezzi Ce qui est amusant, c'est que Glenn Gould a évité beaucoup de chose trop plaisante pour le public, il a tout évité, de Beethoven aux impressionnistes, donc une grande partie de ce que tous les pianistes jouaient et il se concentra sur les choses extrêmes - il était un vrai champion de Schoenberg et le début de ce que j'appelle la « musique non listable ». Ce qui est intéressant, c’est qu’il a cet album de Brahms, qui fait presque mal aux yeux dans son catalogue. Il n’a pratiquement rien joué de cette époque et de ce compositeur, et il s’est avéré qu’il avait fait ce disque chez lui avec son propre piano et qu’il le faisait essentiellement pour une femme dont il était amoureux. Je pense que Glenn Gould a soudainement trouvé des réserves pour faire un certain genre de chose qu'il n'était pas capable de faire lorsqu'il restait dans sa tour d'ivoire.

6. Rick Ross - Teflon Don Je me suis lancé dans le hip hop en même temps que tout le monde, autour de l'âge d'or des années 90. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à voir le rêve de la revanche capitaliste au travail et j'aimais l'idée de la rapidité avec laquelle elle évoluait et son aspect concurrentiel - il fallait la pousser plus vite que d'autres styles de musique. Quelque chose de plus avant-gardiste avec ses beats et avec une approche des mots plus en plus détaillée, alors je l'ai juste suivi un peu plus comme je lisais des bandes dessinées.

7. Roberta Flack - First Take J’ai littéralement usé le vinyle de ce disque au fil des ans et justement - c’est le parfait compromis entre cette approche européenne austère et cette du jazz qui n’est pas une forme de masturbation. Certains des plus grands musiciens de jazz jouent avec elle - Ron Carter, le bassiste de Miles Davis. Elle joue pour sa part du piano, mais bien sûr elle est chanteuse, donc le piano ne fait rien d'autre que servir ses chansons. La manière européenne de traiter la chanson est la partie la plus importante, la mélodie réelle et le sentiment mis en elle, donc pour moi, c'est le nec plus ultra des approches classiques et jazz sans aucun poids mort, en ce sens c'est un album pop. Donc vous n'avez aucun des mouvements de 12 minutes et aucun des développements impossibles à suivre de la musique classique qui ne fonctionnent plus au 21ème siècle.

8. Beastie Boys - Check Your Head Ils m'ont influencé parce qu'il s'agissait de juifs de la classe moyenne qui arrivent et se mettent à faire du rap. Je les appréciais déjà, mais ce qui m’a vraiment convaincu, c'est qu'ils ont commencé à jouer des instruments, et tout à coup il y a eu une connexion pour moi. Mike Diamond jouait de la batterie, Ad-Rock jouait de la guitare et MCA, qui repose en paix, jouait de la basse et ils ont réussi à rapprocher leur musique vers les fans de rap. C'était littéralement une inspiration.

9. The Smiths - Meat Is Murder Semblable à Frankie Goes To Hollywood, il y avait quelque chose de tellement supérieur à propos de Morrissey. C'était une des premières musiques où il n’y avait rien à vraiment aimer pour moi : c'est plutôt carré. L'attraction était vraiment Morrissey et la nature vindicative de son intelligence, semblable à celle de Holly Johnson - vous pouvez voir que dans les années 80, tous mes goûts étaient pour la mégalomanie. Maintenant, je vois Morrissey, il est beaucoup plus mélancolique que mégalomane, mais rien ni personne ne capture l'aliénation des adolescents comme Morrissey. Je pense que Morrissey a vraiment codifiée une certaine réaction à la dépression : tout le monde transforme la dépression en autre chose, et vous pouvez remonter jusqu’à Morrissey. Vous ne pouvez pas obtenir de chanson comme "The Grudge" de Ivory Tower -sans Morrissey.

10. Keith Jarrett - Koln Concert Je me souviens de quelqu'un qui m'a dit : « Ce gars, il improvise pendant une heure et c'est la chose la plus étonnante ». Il est l'exception qui prouve la règle - je pense que si quelqu'un monte sur scène et improvise pendant une heure, c'est affreux - c'est trop risqué et cela ne respecte pas les gens qui paient pour leur dire fondamentalement que vous allez faire ce qui vous plaît devant eux. Je ne pourrai jamais faire ça - cela va à l'encontre de mes instincts de divertissement. Mais bien sûr, Keith Jarrett : chaque règle a son exception. C'est juste vraiment sublime. Il a fait d'autres concerts en direct et les a sortis, mais aucun d'entre eux ne tient vraiment la route. Il était juste vraiment inspiré - Keith Jarrett va à l'encontre de ce que je pense de l'improvisation et de la souffrance extrême de l'artiste et de son statut de diva : le gars ne jouera pas s'il y a un brouillon. Si le siège du piano ne descend pas assez bas, il annule tout ! Il ne fait aucun effort pour être facile, mais de temps en temps, quelqu'un le rejoint et il peut s'en tirer. Il est bon de savoir que parfois, même mes règles peuvent être brisées par une autre personne.

11. Eminem - Marshall Mathers LP Je pense que ce qu'Eminem a apporté de nouveau était l'extrême conscience de soi. D'une certaine manière, il est comme l'anti-R Kelly. Il a une approche préventive, à la Andy Kaufman. Ce qu'Andy Kaufman a fait dans ses performances humoristiques, c'est qu'il a toujours été en avance sur ce que le public pourrait penser de lui et être suffisamment intelligent pour laisser savoir aux spectateurs ce qu'ils pensent de lui. Bien sûr, Eminem étant le premier rappeur blanc à le faire, il fallait qu’il occupe une position très spéciale. Il est comme le président Obama, il doit être deux fois plus bon et deux fois moins noir, et dans le cas d'Eminem, il devait être deux fois plus bon et et deux fois moins blanc. Il a fait cela, je pense, en étant si incroyablement conscient qu’il n'y avait donc aucune chance de le ridiculiser, parce que tout ce que vous auriez pu dire sur lui c’est « il est tout ce que nous disons qu'il est ». Il a ce niveau d'Andy Kaufman de ce que j'appellerais la maîtrise conceptuelle de la perception de ce qu'il faisait, et c'était incroyablement inspirant. C'est un album incroyable musicalement et lyrique, et c'est pourquoi toute la décennie lui a appartenu - jusqu'à Kanye West, il n'y avait pas vraiment de rappeur qui a vraiment défini le temps [comme lui].

12. R. Kelly - Chocolate Factory J'aurais pu mettre Nate Dogg ici, mais R Kelly est allé plus loin : Nate Dogg a aussi eu cette qualité pour moi, d'avoir ce ridicule d'embrasser cette contradiction entre être religieux et « I Believe I Can Fly » et toutes ces choses sonores très sucrées combinées avec la plus douce interprétation de la part du plaus grand des gangsters. « Ignition Remix », bien sûr, est un classique tellement incroyable, il s’agit de l’une des plus grandes chansons de tous les temps.