Robert Johnson
Fruit d’une liaison illégitime entre sa mère et un vagabond, Robert Johnson porte dans son sang une attirance certaine pour le voyage qu’il gardera tout au long de sa courte vie. Son enfance se déroule sous le signe de la misère, tant pécuniaire que morale : élevé par le mari (vivant avec sa maîtresse et ses enfants…) de sa mère qu’il ne rejoindra elle-même que bien après, Johnson assiste à toutes les difficultés que peut rencontrer un peuple qui est certes désormais libre, mais qui a aussi tout à gagner. Le jeune Robert joue de la guimbarde, de l’harmonica et fréquente un voisin plus vieux que lui qui apprend la guitare avec Charley Patton, qui, avec Son House, resteront plus tard ses deux grandes influences. Mis au fait de ses origines l’adolescence venue, il décide de porter le nom de son véritable père, Noah Johnson ; nom qui, étrangement, est aussi celui d’un grand guitariste de l’époque : Lonnie Johnson.
Robert se marie à dix-sept ans et perd sa femme un an après ; dans le climat économique de la grande dépression, il part sur les routes du Sud. Subsistant grâce à la guitare qui lui sert à divertir les ouvriers de quelques rares chantiers, il ne fait pourtant encore qu’apprendre son métier et est souvent la cible de nombreuses moqueries de la part de Patton et House, ses deux maîtres. Devant tant d’hostilité, « Little Robert » disparaît et sillonne le Delta.
La légende raconte que quelques années après, un soir où Son House jouait avec Willie Brown près de Robinsonville, Johnson réapparût avec une guitare dans le dos. Le rire aux lèvres, les deux musiciens virent Johnson traverser la foule et se planter devant eux, leur demandant la permission de lui laisser la scène une minute. Ne pouvant refuser une occasion de se moquer, Son House accepta : « tu serais bien inspiré de faire un truc pas trop mauvais ! ». Johnson monta et commença à jouer. Son House, ahuri : « c’était si bon, mec, tout le monde en resta bouche-bée. Il avait progressé si vite. C’était incroyable ! ». Sa musique était en effet si virtuose que la rumeur courra vite que Johnson avait vendu son âme au diable en échange de son jeu de guitare. Le guitariste lui-même entretient ce genre d’histoires surnaturelles dans ses chansons (« Me and the Devil Blues », « Cross Road Blues ») et reste très mystérieux quant à son savoir-faire…
Fort de sa renommée, il parcourt le pays et s’imprègne de tous les styles, son désir étant à présent d’enregistrer ses chansons. Ce sera chose faite en novembre 1936 lors d’une séance dans une chambre d’hôtel, il enregistrera ses autres morceaux en juin 1937, dont le célèbre «Love in Vain». Redescendant vers le Delta, il jouera en ce triste soir de 1938 dans un bar de la région de Greenwood où il sera empoisonné par un mari mécontent des regards qu’il échangea avec sa femme. Il avait 27 ans.
Stigmatisant la condition de tout un peuple, Johnson était à sa mort aux portes d’une reconnaissance nationale. Préservé par ses deux seuls enregistrements, son message sera entendu par nombre de musiciens : Muddy Waters, Dylan, Eric Clapton (seul, avec Cream ou John Mayall), les Stones… reprenant des chansons devenues de véritables classiques : « Ramblin on my mind », « Sweet Home Chicago », « Love in Vain », « Cross Road Blues », « From Four Till Late » ou encore « Terraplane Blues »… Image mythique de l’artiste noir, la destinée de Johnson ressemble à celle d’un Charlie Parker, son charisme à celui d’un Jimi Hendrix. Ayant introduit dans son jeu de guitare des basses roulantes en walking, Johnson a grâce à ses textes et sa musique préfiguré le Blues moderne jusqu’à le naissance du Rock ‘n’ Roll.
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