Mustt Mustt (Real World Gold)

Chronique

Quel est le plus étonnant dans cet album : que l’art qawwalî (musique inspirée par la mystique Sufi) de Nusrat Fateh Ali Khan accepte avec autant de grâce les premières interventions de ce que l’Occident considère comme des canons musicaux, ou que ce disque soit si bon ?   Tout est en effet contraste ici : alors que l’inspiration de Nusrat nécessite, pour se déployer, la tradition de longues pièces évolutives poursuivant un cheminement codé de questions/réponses, exposés de thèmes et larges pans d’improvisation, les chansons proposées dans Mustt Mustt n’excèdent pas cinq minutes.

Bien qu’un ensemble qawwalî admette simplement l’usage de quelques percussions, d’un harmonium et de choristes, on constate ici la présence de synthétiseurs (David Bottrill, ingénieur du son de talents aussi divers que Youssou N’Dour ou dEUS), du guitariste canadien Michael Brook, formé à l’improvisation par le trompettiste Jon Hassell et initié à la musique indienne par le compositeur contemporain LaMonte Young, d’un Darryl Johnson à la basse, qu’on a connu plus familier du répertoire d’Emmylou Harris et d’une batterie étonnamment tenue par le patron des lieux en personne, un certain Peter Gabriel.   Enfin, alors que jaillissement et improvisation impliquent pour la musique qawwalî la jouissance de l’instant, Nusrat s’est laissé aller à la coquetterie d’un remix (« Mustt Mustt ») par rien moins que Massive Attack, qui s’apprête à devenir roi de Bristol et du trip-hop avec la parution de son premier album l’année suivante.   La réussite exemplaire de cette entreprise, de prime abord mariage de la carpe et du lapin, réside en fait dans l’approche extrêmement respectueuse qu’ont eu les musiciens occidentaux de cette aventure, de leur discrétion et, fort logiquement, dans la personnalité dévastatrice et plénipotentiaire du chanteur : difficile de plier l’artiste à une quelconque volonté d’impérialisme commercial. Par sa capacité à générer danse et méditation et, dans le strict champ d’application du soufisme, là où Nusrat chante, seul le respect repousse.   Cet album atteint en 1991 la quatorzième place du classement des albums de musiques du monde.  

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