Le monde s'est dédoublé

Chronique

Avec cet EP, Clara Ysé a planté une graine tragique afin de faire pousser une fleur colorée et vivace. En 2017, sa mère, la philosophe Anne Dufourmantelle, meurt en portant secours au fils d’une de ses amies, qui était en train de se noyer. Écrites quelques mois après ce drame, les six chansons du Monde s’est dédoublé ont été pensées comme des talismans énergiques destinés à conjurer le chagrin. Même s’il débute par l’effet immédiat provoqué par cette perte soudaine (« Je ne percevais plus les choses comme des choses réelles », chante-t-elle dans le morceau d’ouverture), l’espoir renaît rapidement (« Il y a toujours le ciel bleu azur, qui, lui, vient toujours en ami, te rappeler tout bas, que la joie est toujours à deux pas »). Ce vers vient rappeler le pouvoir absolu des mots : plus on les psalmodie, plus ce qu’ils représentent devient réel. Les mots ont le pouvoir de transformer les choses, surtout lorsqu’ils sont répétés par l’effet magique d’un refrain. La langue était l’outil de travail d’Anne Dufourmantelle, et c’est en transmettant cet outil à sa fille que cette dernière a pu finalement faire son deuil. L’importance des mots est d’ailleurs soulignée par le recours occasionnel à d’autres langues : l’anglais dans l’émouvant Mama, et l’espagnol dans le pétulant Fées magnétiques et la tornade Libertad. Souvent épaulée par son cocompositeur et coauteur Yulian Malaj, Clara Ysé chante la résilience et célèbre la musique et les mots (son « territoire refuge ») de sa voix profonde et charismatique. Malgré la tragédie sous-jacente des chansons, Clara Ysé a sorti un EP où l’obscurité est certes présente, au loin, mais finit par être vaincue par la lumière la plus étincelante qui soit. « Mama, with your smile, I swear I will bring back the lights ». ©Nicolas Magenham/Qobuz