Johannes Brahms: Piano Concerto No. 1 & Tragic Overture - Cherubini: Éliza (Overture)

Chronique

D’André Grétry à Heinz Holliger, l’admiration face aux « glaciers sublimes » de la Suisse n’a pas échappé aux compositeurs, comme en témoignent de nombreuses œuvres. À la frontière de la Suisse et de l’Italie, le col du Grand-Saint-Bernard a inspiré à Luigi Cherubini son opéra-comique Eliza, dont l’ouverture fut jouée au début du concert qui vit naître le Concerto n° 1 en ré mineur du jeune Johannes Brahms à Leipzig. On y entend un « ranz des vaches », mélodie traditionnelle des bergers suisses popularisée par Jean-Jacques Rousseau, idée que Brahms reprendra plus tard dans le Finale de sa Première Symphonie, comme Beethoven ou Rossini avant lui.

Bien oublié aujourd’hui, le compositeur italien naturalisé français fascinait Beethoven et les compositeurs après lui. C’est ce lien historique qui est repris dans cet album, mais… à l’envers, puisque l’œuvre de Cherubini est présentée à la fin de ce programme principalement consacré au Concerto en ré mineur de Brahms dont la création officielle de 1859 fut un flop total ; le public n’étant pas prêt à subir les assauts tonitruants d’un inconnu de 25 ans pendant 50 minutes !

Pour son enregistrement réalisé dans la banlieue huppée de Bâle en juin 2020, le pianiste russe Alexander Melnikov a choisi un grand et magnifique piano Blüthner de 1859, exactement contemporain de la création de l’œuvre. On y retrouve ce qui fait la qualité de ces instruments : un son moelleux, des basses profondes, un medium chantant d’une façon presque cristalline. Le pianiste et le chef, Ivor Bolton, prennent leur temps en étirant le tempo comme pour mieux savourer la sensualité des courbes mélodiques, au détriment parfois de la vigueur juvénile qui traverse tout le long premier mouvement.

L’Adagio, rêveur à souhait qui semble se souvenir de Beethoven, est porté à un rare degré de poésie par les deux interprètes auxquels il faut associer l’Orchestre symphonique de Bâle dont l’accompagnement soutient si bien le chant du piano. Le Rondo final exulte d’une exubérance presque enfantine encore renforcée par les trilles et les sonorités parfois aigrelettes du piano d’époque. Le tout est précédé d’une interprétation assez sage de l’Ouverture tragique, véritable mouvement de symphonie composé beaucoup plus tard par un Brahms parvenu au faîte de sa maturité. © François Hudry/Qobuz