Impermanence/Disintegration

Chronique

On connaît Bryce Dessner comme étant un des membres du groupe de rock indépendant The National, originaire de Cincinnatti en Ohio. Formé en 1999, The National impressionne dès les premières prestations, enchainant des albums au succès critique immédiat tout en gagnant progressivement le succès commercial et de nombreux prix. L’album High Violet atteint ainsi la troisième place du Billboard 200 aux Etats-Unis en 2010. Mais Dessner a une autre carrière de musicien classique (orchestre, musique de chambre et compositions vocales) et ce depuis déjà une quinzaine d’année. Il a ainsi travaillé avec de nombreuses institutions tels le Los Angeles Philharmonic, le New York Philharmonic, Kronos Quartet, le Barbican Center, entre autres. Il a également collaboré avec les pointures du milieu de la musique contemporaine, que ce soit Philip Glass, Steve Reich ou Ryuichi Sakamoto (sur la bande originale du film The Revenant ). Pour ce projet classique, Bryce Dessner a répondu à la proposition des institutions australiennes, avec la Sydney Dance Company, et, pour créer la musique, l’Australian String Quartet. C’est ainsi que cette nouvelle oeuvre, Impermanence / Disintegration voit le jour. Le titre, la thématique et la tonalité dramatique de cette pièce renvoie de manière étrange à la situation d’une planète entière à l’arrêt et en proie à une pandémie exceptionnelle. Les neuf morceaux qui constituent cet album s’accordent ainsi à la fragilité, la lutte et le rythme incessant, celui de cette impermanence qui constitue la vie elle-même. On sent bien sûr ici l’influence des mentors de la musique répétitive, Glass et Reich - comment ne pas y penser sur le très beau Pulsing ? - mais il s’agit pour Dessner de tisser logiquement le lien, et de le développer tout en se l’appropriant. Dès l’introduction, sur Alarms, il montre un véritable talent et une grande maîtrise, maniant une rythmique ténue, un tempo stricte accueillant ça et là ruptures et envolées. On ressent à travers les neuf morceaux toute l’urgence et la beauté de la catastrophe. Pour interpréter ses compositions, on admire toute la virtuosité de l’Australian String Quartet, c’est-à-dire Dale Barltrop au premier violon, Francesca Hiew au second violon, Stephen King à l’alto et Rachael Tobin au violoncelle. À noter sur le dernier morceau, la chanson Another World, la présence vocale d’Anohni, ex-Antony Hegarty (devenue aujourd’hui femme), ancien leader d’Antony & the Johnsons, qui signe également les paroles. Alliant donc la musique à la performance, une première de Impermanence a eu lieu, après une annulation, en février 2021 à Sydney. Pour se faire une petite idée, une vidéo reprenant un peu plus de trois minutes du morceau Impermanence a d’ailleurs été tournée auparavant, et est disponible sur YouTube, mettant en scène les danseurs Mia Thompson et Riley Fitzgerald, de la Sydney Dance Company, sur une chorégraphie de Rafael Bonachela. Les deux corps s’enlacent et se délacent. Originalité graphique sans doute pensée par le réalisateur, Clemens Habicht, les deux corps sont découpés sur un fond gris, et sur certains plans leurs bras ainsi disparaissent, faisant quelque part écho aux statues antiques amputées telle la Venus de Milo, par exemple. Ce qui donne toute sa dramaturgie au projet, la fragilité de ces corps découpés s’alliant parfaitement à la mélodie sinueuse des violons. Cet album, réunissant les neuf morceaux pour une durée d’une quarantaine de minutes, voit le jour sur le label 37do3d, créé par les frères Dessner et Justin Vernon alias Bon Iver. © Yan Céh/Qobuz