Braindrops

Chronique

Melbourne et Perth, les “twin cities” du rock ? Depuis près d’une décennie, leurs scènes bouillonnantes produisent talent sur talent, grâce à la force des réseaux de salles de concert. Il y a de tout : rockeuses invétérées (Jen Cloher, Liz Stringer, Courtney Barnett), cueilleurs de champis (King Gizzard, Tame Impala), poètes folk (Vance Joy, Missy Higgins)… Et puis il y a Tropical Fuck Storm. Dans un monde un peu à part, ces extraterrestres ont sublimé la course à la nouveauté de tous ces groupes émergents en un seul package art-noise-rock d'avant-garde complètement délirant. Les cerveaux derrière ce patchwork de spoken word et d’explosions bruitistes, ce sont les chanteurs Gareth Liddiard et Fiona Kitschin, deux anciens membres de The Drone, autre groupe mythique australien.

Il y a une méthode et une intention bien claires derrière l’espèce de free-jazz cataclysmique de leur deuxième album, Braindrops, qui pourrait se résumer en trois volets. Esthétiquement : par la création d’atmosphères sinistres, l’insertion de polyrythmies et une insistance sur la distorsion numérique. Formellement : par la rupture d'avec les structures narratives du rock et du post-rock, loin de la sempiternelle alternance couplet-refrain-couplet du premier genre, et tout aussi loin de la musique « évolutive » du deuxième. Enfin, les paroles : Liddiard et Kitschin offrent l’aperçu d’un psychisme humain fracturé, dans un futur proche où la planète serait ravagée par la guerre, la compétition entre la Chine, la Russie et les Etats-Unis et un capitalisme sans âme. Souvent, les double sens sont associés à des images abstraites qui rappellent l’écriture automatique, si ce n’est pour décrire des histoires vraies : Who’s My Eugene se veut le récit de la fameuse relation entre Brian Wilson des Beach Boys et son psychothérapeute abusif Eugene Landry. « Boot on my neck gives a tight squeeze / What is hiding on the summer breeze? Shine of salty sweat, who will you be? Surf Safari or my Eugene? », chante Kitschin d’une voix innocente. Braindrops a des allures de présage sinistre autant que de manifeste artistique. Violent, viscéral, c’est Tropical Fuck Storm. © Alexis Renaudat/Qobuz