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Franz Liszt

S'il venait à qui que ce soit l'idée d'écrire un roman évoquant la vie de Franz Liszt, l'auteur serait immédiatement accusé de loufoquerie. La réalité est tellement invraisemblable qu'elle défierait, en effet, l'imagination du pire romancier à la chaîne. Précisons que Liszt lui-même n'hésita pas à alimenter le moulin à mythes ; il n'avait pas vingt-trois ans que paraissait sa première biographie dans la Gazette musicale de Paris, chargée des plus douteux détails, des plus dithyrambiques déclarations, et des plus fausses inventions destinées à faire pleurer la lectrice déjà saisie de lisztomanie. Pire encore, en 1828 (il n'avait que dix-sept ans !), paraissait déjà sa première nécrologie - l'idéal pour les relations publiques de sa longue vie anthume - selon laquelle « s'il avait grandi, alors on aurait épluché les défauts, on aurait nié ses qualités ; il aurait été froissé par le choc brutal des passions viles et haineuses, au lieu que maintenant, enveloppé dans son dernier linceul, il a recommencé son sommeil d'enfant. » Il faut avouer que ces phrases avaient quelque chose de prophétique : on a épluché ses défauts, nié ses qualités, et mille passions viles et haineuses l'ont effectivement frappé de front. Si la vie lui réserva d'immenses joies musicales et sentimentales, elle lui déroula également un ample tapis d'amères déceptions tout aussi musicales et sentimentales.



Franz Liszt (ou Liszt Ferenc pour les magyaristes obstinés) est né dans ce qui était alors la partie hongroise de l'empire d'Autriche. Son père, ayant remarqué ses prédispositions naturelles à mémoriser puis jouer la musique, décide d'en faire un enfant prodige et l'envoie étudier auprès de Czerny et Salieri. Liszt a tout juste onze ans lorsqu'il donne ses premiers grands concerts en public, et la légende veut que Beethoven ait assisté à l'un d'eux - les commentateurs s'étripent quant à séparer le bon grain de l'ivraie biographique, et de nos jours, on admet que le vieux sourd a pu [ne pas, puisqu'il était sourd] entendre Liszt chez Czerny où il l'aurait félicité pour la qualité de son jeu. Admettons... Dorénavant considéré comme un jeune prodige, déjà célèbre à douze ans, Liszt se lance dans une carrière effrénée de virtuose itinérant qui, jusqu'à l'âge de seize ans, le verra parcourir en particulier la France (où il tentera en vain d'entrer au Conservatoire de Paris, ce que son état d'étranger lui interdira pourtant) et l'Angleterre pour d'innombrables concerts qui rapporteront une fortune... à son père. Mais le père meurt et Liszt, seize ans, s'installe à Paris avec sa mère : c'est le début de la grande vie de star. Il côtoiera toute l'avant-garde artistique de son temps, Berlioz, George Sand, Musset, Rossini, Ingres, Chopin, Balzac, Delacroix, Hugo, Paganini, presque tous de jeunes loups n'ayant pas encore la trentaine. Il rencontre aussi la comtesse d'Agoult qui lui donnera trois enfants, et avec laquelle il devra s'enfuir un temps en Suisse car en France on ne badine pas avec les liaisons adultérines entre un simple amuseur et une comtesse de rang mariée. Leur liaison finira d'ailleurs assez rapidement : incompatibilité d'humeur, jalousie, et surtout les incessantes tournées de l'artiste.



Car entre 15 et 37 ans, Franz Liszt bat le pavé européen pour y donner des centaines de concerts, de l'Andalousie à Saint-Pétersbourg en passant par Edimbourg et Constantinople. La renommée qui le précède était telle que les salles étaient presque toujours bondées des heures à l'avance, sauf curieusement en Angleterre où la plupart de ses tournées furent des ratages complets. Le public frise toujours l'hystérie, les organisateurs s'en mettent plein les poches, Liszt aussi, et les autres musiciens participant à ses concerts en sont réduits à lui tenir la chandelle. Il développera d'ailleurs bientôt le principe du récital où il se produisait tout seul, ce qui n'était pas encore l'usage en ce temps, jouant ses propres oeuvres et celles de ses contemporains. Il ne faudrait pas imaginer toutefois que ces tournées étaient des parties de plaisir : il donnait parfois deux concerts par jour dans des villes différentes, six jours sur sept, avec comme seul moyen de transport la diligence - puisque le chemin de fer en était encore à son début... - sachant qu'un Paris-Strasbourg prenait 60 heures de ballottement jour et nuit dans une voiture sale, enfumée, glaciale, encombrée, dans laquelle le sommeil était quasiment impossible. Quant aux fortunes qu'il engrangeait, elles furent sérieusement écornées par deux facteurs. Primo, Liszt était d'une grande générosité et distribua bien plus de la moitié de ses gages à d'innombrables oeuvres de charité (ouvriers grévistes à Lyon, victimes des inondations à Budapest, malades des hospices, pauvres en tout genre, sans oublier les musiciens désargentés). À sa retraite de la scène pianistique à l'âge de 37 ans, il devint le mentor de dizaines de pianistes, grands et petits, auxquels il dispensait gratuitement son savoir, allant jusqu'à leur offrir gracieusement le gîte et le couvert dans sa grande maison de Weimar. Par ailleurs, il avait un sens aigu des relations publiques et dépensa des fortunes en bouquets de fleurs que des affidés devaient lui lancer pendant les concerts (Hans Christian Andersen le rapporte même dans ses mémoires : lors du concert auquel il assista à Hambourg, les fleurs furent lancées... par le maître nageur de l'hôtel), odes à sa gloire, costumes de scène flamboyants, claque... D'ailleurs, l'amusant film Lisztomanie de Ken Russell dépeint Liszt comme la première pop star de l'histoire de la musique, ce qui reflète bien la réalité. Toutefois le terme lisztomanie a été créé seulement en 1844 par le poète allemand Heinrich Heine pour décrire l'effet que produisait le pianiste sur les Berlinoises d'alors. Il la considérait comme une sorte de dérangement de l'esprit, dû au « galvanisme, à l'électricité, à la contagion dans l'atmosphère chargée et brûlante d'une salle remplie de bougies flamboyantes et d'une foule de personnes parfumées et couvertes de sueur, à l'épilepsie histrionique, aux phénomènes du chatouillement et autres matières scabreuses qui ont rapport aux mystères de la bona dea. » [La divinité romaine de la chasteté que son père Faune força à faire des choses, en prenant la forme d'un serpent.].



Lors d'une tournée en Russie puis en Turquie, Liszt fit la connaissance de la jeune princesse Carolyn von Sayn-Wittgenstein qui devint rapidement sa compagne - encore une femme mariée ! Les deux amants s'installèrent rapidement en Allemagne, à Weimar : Liszt, tout juste 37 ans, abandonna à tout jamais sa fulgurante carrière de pianiste itinérant, pour sérieusement se consacrer à la composition (jusque-là, il n'avait écrit que des pièces virtuoses à son propre usage, brillantes mais souvent assez superficielles), et surtout à la direction de l'Opéra de Weimar où il se fera le chantre de la musique moderne. Il imposera en particulier les nouvelles oeuvres de Berlioz et Wagner contre vents et marée. C'est également à Weimar qu'il forma la majorité de ses élèves, dont plusieurs deviendront les plus grands pianistes de leur temps et sèmeront la bonne parole pianistique aux quatre coins de la rose des vents.



Hélas, sa dernière grande liaison amoureuse devait finalement s'effriter, d'autant que le pape en personne refusa le divorce de Carolyn et de son vilain mari qui entendait garder la mainmise sur l'immense fortune de sa femme. Or, Liszt rêvait d'une vie rangée d'homme marié. Il se retira donc de la vie publique, voyageant en triangle entre Budapest (où il avait en quelque sorte adopté son héritage hongrois), Weimar et Rome où il s'était carrément fait ordonner prêtre. Tout célèbre qu'il fut, Liszt connut bien des déboires : déchirure de son premier grand amour avec Marie d'Agoult, mort de deux de ses enfants, vexations à n'en plus finir par la bureaucratie s'opposant à son mariage avec Carolyn, sa musique déconsidérée par la majorité de ses contemporains qui n'en comprenaient ni la modernité ni l'immense originalité - tandis que d'autres, par contre, y pillèrent leur propre modernité.



Mais la postérité lui a restitué sa vraie place, celle d'un phénoménal compositeur pour piano, d'un grand avant-gardiste dans l'écriture pour orchestre, du plus extraordinaire pianiste de son temps, et surtout celle du dernier grand novateur de la matière technico-pianistique - à telle enseigne que depuis, personne n'a réellement plus fait d'avancées dans ce domaine - et d'un personnage tellement célèbre qu'il a fait l'objet de quelque dix mille ouvrages, articles, analyses et autres écrits.



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