Si l’on trouve des compositrices dès la Grèce antique, et probablement avant, il faut toutefois attendre le XXe siècle pour que les créatrices soient considérées. Les femmes étaient autorisées à apprendre la musique, la jouer et la chanter. Mais si l’envie leur prenait de composer, l’audace était rapidement rabrouée. Nombreuses sont ainsi les femmes dont le talent et le génie ont été étouffés. Dans une société régie par les hommes, les œuvres de l’esprit sont produites par des hommes. Maria Anna Mozart (1751-1829), affectueusement surnommée Nannerl par son frère, était non seulement une pianiste au talent reconnu, mais également une compositrice suscitant l’admiration de Wolfgang, qui jouait ses pièces au grand dam de son père. Irrité, Leopold Mozart ordonna à sa fille de ne plus écrire de musique, car une femme ne saurait devenir compositrice. Du même coup, il lui interdit d’étudier le violon et l’obligea à donner des cours de piano pour financer les tournées de son frère en Italie. Nannerl n’a d’autre choix que d’obéir à son père, à rentrer dans le rang avant de sombrer dans une profonde dépression.

De tels exemples sont malheureusement courants au XIXe siècle, comme Fanny Mendelssohn, adorée par un frère qui voyait cependant d’un mauvais œil que sa sœur puisse devenir compositrice. Quant à Clara Schumann, elle a continué à donner des concerts après son mariage car ils constituaient le seul revenu du foyer familial. Son mari souffrait cependant de n’être que « le mari de la pianiste » lorsqu’il l’accompagnait en tournée. Compositrice de talent, Clara a cessé d’écrire pour promouvoir la musique de Robert bien après mort de son mari. En épousant Gustav Mahler en 1902, Alma Schindler, compositrice très douée, est contrainte par son époux d’abandonner toutes ses velléités artistiques pour devenir la femme aimante et protectrice d’un génie. Le temps commence à rendre justice à toutes ces femmes dont l’élan créateur a été coupé net par des préjugés d’un autre âge. De nombreux disques portent aujourd’hui le témoignage de leur talent et, souvent, de promesses tuées dans l’œuf par une société inégalitaire. Ce panorama chronologique propose de mettre en lumière quelques-unes de ces grandes personnalités à découvrir.

Sappho de Mytilène

Poétesse et musicienne grecque de l’Antiquité, Sappho de Mytilène a vécu aux VIIe et VIe siècles avant J.-C. Elle a laissé une trace profonde dans l’histoire de la Grèce. Ses poèmes, décrivant souvent son attirance pour les jeunes filles, ont fait d’elle la porte-parole de l’homosexualité féminine. On possède peu de données historiques la concernant et son œuvre poétique nous est parvenue sous la forme de fragments et de citations figurant chez des auteurs anciens qui l’ont évoquée pendant plusieurs siècles. Sappho reste avant tout connue pour ses poèmes érotiques, mais on a récemment retrouvé des écrits plus politiques. Il ne reste rien de sa musique qui, selon Plutarque, était d’une grande importance. Sappho aurait en effet inventé un des trois principaux modes de la musique grecque antique. La grande chanteuse d’origine grecque Angélique Ionatos a consacré deux très beaux albums à sa lointaine collègue de l’Antiquité.

Hildegarde von Bingen

Proclamée « Docteur de l’Eglise » par le pape Benoît XVI en 2012, Hildegarde von Bingen fut un esprit quasi universel. Née en Allemagne en 1098, c’était une religieuse bénédictine, femme de lettres et compositrice. Ses connaissances médicales et son don de voyance ont fait d’elle une guérisseuse parmi les plus célèbres de son temps. Elle laisse de nombreux écrits dans des domaines très divers. Comme musicienne, Hildegarde von Bingen laisse plus de 70 chants liturgiques, des hymnes et des séquences. Elle est aussi l’auteur du drame sacré Ordo virtutum (Le Jeu des vertus) qui met en scène les déchirements de l’âme humaine entre le sacré et le profane. La notation musicale étant très sommaire à l’époque, la musique d'Hildegard von Bingen se prête à toutes sortes d’interprétations, ce dont ne se privent pas les nombreux musiciens attirés par cette extravagante personnalité qu’on ne finit pas de découvrir et d’admirer.

Barbara Strozzi

Issue, tout comme Francesca Caccini à Florence, d’une grande famille d’humanistes et d’artistes, Barbara Strozzi était la fille adoptive de Giulio Strozzi, poète très en vue des milieux intellectuels vénitiens et collaborateur de Monteverdi. C’est lui qui, non seulement, prend grand soin de l’éducation de sa fille mais va l’introduire dans les milieux musicaux et artistiques où règne une intense effervescence de l’esprit. Il écrira pour sa fille les vers de son Premier Livre de madrigaux qu’elle publiera en 1644. Cantatrice virtuose, Barbara est l’élève de Francesco Cavalli. Outre cette première publication, on lui doit trois recueils de cantates, d’ariettes et de duos, dont le dernier est perdu. Son succès suscitera l’intérêt de mécènes comme les ducs de Mantoue et de Gonzague. La musique de Strozzi est d’une grande intensité dramatique ; elle pleure, elle rit, mettant parfaitement en valeur le texte d’une manière quasi opératique.

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