Comment je suis devenu voyageur

Chronique

Depuis 1994 ou à peu près, Les Ogres de Barback se posent quelques questions inconvenantes : ne peut-on créer son propre label, synonyme d’indépendance de distribution ? Est-il possible de mener carrière en dehors des circuits médiatiques usuels, loin des étranges lucarnes, et proche du vrai public ? Peut-on offrir une chanson citoyenne qui fasse sens sans pédanterie ? Est-il envisageable de relier les énergies amicales qui élaborent chacune de leur côté un art de l’engagement, et de jouer ainsi au Petit Poucet de la connivence communautaire, de Bordeaux (Les Hurlements d’Léo) à Toulouse (Fabulous Trobadors), en passant par Marseille (Massilia Sound System) ? Et qu’en est-il de chansons pour enfants qui n’abêtissent pas les chères têtes blondes (les aventures de Pitt Ocha) ? Et, donc, depuis 1994 toujours, les quatre frères et sœurs Burguière, ici augmentés d’un cinquième élément de la fratrie, louchant du haut de ses quinze ans vers la batterie, aggravent leurs cas, en répondant à tout ce qui précède de manière positive.

Comment Je Suis Devenu Voyageur saisit en forme de douzième album l’équipe entre deux équipées, baluchons à terre pour quelques semaines en Ardèche, penchée sur un magnifique poème de Jean Richepin (Les Oiseaux de passage) non moins magnifiquement mis en musique par Georges Brassens, et décidée à en écrire la suite modeste et iconoclaste, pariant sur le fait que si ces pirates des airs (soudain j’ai vu passer les oies sauvages a chanté de son côté Michel Delpech) décidaient l’enracinement, ce serait à coup sûr autour d’un feu de camp où se racontent d’étranges histoires.

Elles sont au nombre de seize, ces histoires, et on y danse on y danse sur un rythme de ska (« Le Daron »), ou on y frissonne lorsqu’un chant berbère croise une « Petite fleur » sur le gris trottoir de France. Mais jamais on ne s’y répète : entre camp gitan et jovialité sudiste, mélancolie balte et colère romantique, les grands sentiments humains – ceux qui donnent envie de se dresser et de continuer à avancer -, et toutes les cultures qu’on voulait étouffer (rom, occitan) répondent présent au rendez-vous.

Les couleurs offertes par la musique sont elles aussi kaléidoscopiques : entre graïle, duduk, soubasophone ou theremin, le menu laisse déjà résonner d’étranges mélopées, comme si Les Ogres avaient tracé d’un trait décisif le plus court chemin entre Arménie et Languedoc. Et décidé de donner la parole aux gens de peu, qui en racontent de belle entre les pages de leurs journaux intimes. Les Ogres aiment la France, décident donc de ne pas la quitter, mais de lui chanter ses quatre vérités (« Elle fait du zèle (pauvre France) »), et de l’entraîner au cœur d’un étrange chapiteau en goguette, où se percutent les images de rencontres et de ruptures, de rêve et de combats. Attendez-nous, on arrive.

Et l’une des chansons de la sélection vaut bien tous les programmes : Adieu la douleur/Vienne à nous le rose/Ma foi, je propose : /Nos vies en couleurs !. La sortie de l’album s’accompagne d’une tournée de plus de quatre-vingt dates : quatre-vingt occasions d’offrir de belles lumières au printemps qui vient.

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