Dansere

Chronique

Heureuse initiative de la part d’un éditeur qui, constatant que certaines de ses références se trouvent désormais épuisées, adopte une attitude de remise en perspective historique au bénéfice de l’un des plus prééminents saxophonistes de la scène jazz européenne : Dansere met en effet, en coffret de trois chapitres à la portée de toutes les bourses, à disposition les enregistrements pour le label concerné de Garbarek en compagnie du pianiste Bobo Stenson.

                                                                                                                            

L’unité se fait certes sur ces deux noms, mais pas dans la monotonie, dans la mesure où le premier volet de cette aventure commune : Sart (album enregistré en 1971) rassemble sur un mode expérimental un fameux quintette (dont le guitariste Terje Rypdal, qui signe ici le bref thème de « Lontano ») d’artistes qui ont depuis longtemps peaufiné l’habitude de jouer ensemble. Méditatives et hiératiques, les six pièces proposées voguent farouchement aux confins de la musique contemporaine et du jazz, et l’on rappellera à loisir qu’à l’époque de la sortie du disque, la critique avait salué en Garbarek un musicien européen original comme on n’en avait pas entendu depuis Django Reinhardt. Pas moins.

Les deux disques suivants, Witchi-Tai-To et Dansere (album qui donne son appellation au projet générique) sont d’une autre trempe. S’appuyant sur un line-up considérablement remodelé (en l’occurrence le trio de Stenson, se poussant quelque peu pour faire de la place à l’invité de luxe qu’incarna alors le saxophoniste), le premier (issu de sessions de 1973) offre un très acceptable catalogue des goûts et harmonies des deux leaders : outre l’interprétation du « A.I.R. » de Carla Bley – extrait d’Escalator Over The Hill, ou d’un thème-titre de la plume de Jim Pepper, les musiciens s’attachent en de longues variations (le titre affiche plus de vingt minutes au compteur) à une partition de Don Cherry (« Desireless »). Là encore, Garbarek et toute la troupe mène leur musique sur un air de liberté très proche des fondamentaux du free jazz.

Et c’est bien le musicien prodige qui porte à bout de bras l’ultime disque de cette exhumation, signant tous les thèmes de Dansere (produit en studio en 1975), déroulant une synthèse bouleversante de justesse entre la rage d’un jeune Turc et espoir de la nouvelle génération jazz, et la saveur, la sensualité de thèmes folkloriques, dont la fièvre naturelle irradie le jeu de chacun des musiciens. Lorsqu’on l’interroge sur cette période, Bobo Stenson confesse volontiers en avoir rarement vécu d’aussi créatives : Dansere permet désormais de juger sur pièce, de goûter l’évolution de l’ensemble de ces jeunes talents, et de confirmer le diagnostic.

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