10 Years Gone (Live)

Chronique

En dix ans de carrière, le groupe de San Francisco a alimenté de nombreux débats portant sur la forme qu’il a donné à sa musique, mais aussi sur la manière dont il l’a défendue. Totalement avant-gardiste pour les uns, trop dans la maîtrise et le calcul pour les autres, Deafheaven a réussi à établir l’équilibre parfait entre le côté extrême du black metal, et les ambiances plus aériennes et éthérées empruntées à des courants comme le post-rock ou le shoegaze. Une approche hors des sentiers battus (dont on pourrait attribuer la paternité au groupe français Alcest) qui a donné naissance à de sublimes albums qui, s’ils ont en commun un son bien particulier, ont prouvé que le groupe refusait le surplace et n’hésitait jamais à sortir de sa zone de confort, passant d’un registre sombre et brut à des climats plus délicats. Car, quelle que soit leurs formes, les chansons de Deafheaven dégagent une vraie émotion, intense et organique, qui finit toujours par apporter une certaine lumière venue éclairer même les thèmes les plus sombres abordés par le combo. Après une décennie jalonnée d’albums tous aussi réussis les uns que les autres, l’heure était à la célébration et devait s’incarner sous la forme d’une tournée axée autour d’une set-list savamment pensée, car transversale histoire de ne négliger aucune période. L’année 2020 assombrie par une pandémie mondiale en a décidé autrement.

Pour ne pas briser le lien établi avec ses fans, Deafheaven a donc fait le même choix que celui de nombreuses autres formations prises dans la tourmente, jouer live en studio et enregistrer la performance pour mieux la diffuser par la suite. 10 Years Gone est le résultat de cet exercice si particulier, réalisé sous la houlette de Jack Shirley, l’homme derrière leur son et producteur de tous leurs albums (ainsi que de ses premières démos), au studio Atomic Garden. L’occasion pour l’auditeur de (re)découvrir des petites perles comme From the Kettle Onto the Coil, sorti uniquement au format single en 2014 (et en téléchargement gratuit) ou encore Daedalus, la toute première chanson composée par le groupe à ses débuts et désormais disponible avec un son plus puissant et défini. Le reste se répartit entre les quatre albums du combo, le mythique Sunbather de 2013 tirant son épingle du jeu avec trois intenses chansons dont la durée oscille entre neuf et quatorze minutes. Les passages black metal joués à vitesse grand V, avec une intensité des plus viscérales se mêlent aux ambiances post-rock blindées de delay quand vient l’heure de faire chuter le tempo et d’aérer le propos. La maîtrise parfaite du répertoire et l’exécution sans failles donneront l’impression à plus d’une oreille de vivre une expérience studio revisitée plutôt qu’un véritable live à proprement parler, mais l’immersion est totale. Parce que Deafheaven est unique, le son qu’il distille se vit autant qu’il s’écoute. 10 Years Gone est l’exemple même de l’album parfait qui enterre les compilations paresseuses se contentant de coller des morceaux bout à bout sans autre effort. Des chansons déjà entendues, et pourtant indispensables sous cette nouvelle forme. © Chief Brody/Qobuz