Mouloudji
Un jour tu verras, Comme un p’tit coquelicot, Si tu t’imagines, Rue de Lappe, La complainte des infidèles, Les petits pavés, … sont autant de chansons intimement accrochées au répertoire de ce Gamin de Paris, fils d’un immigré algérien et d’une bretonne catholique très pratiquante (il évoque son métissage : « Catho par ma mère, musulman par mon père » avec sa reprise de Allons z'enfants de Boris Vian). Né à Paris en 1922, Marcel Mouloudji, est un adolescent fasciné par le monde du théâtre. Il est rapidement adopté par le métier. Il est même parrainé par l'homme de lettres Marcel Duhamel qui l'initie à la littérature et à la poésie. Précoce, il apparaît dans « Les disparus de Saint-Agil » de Christian Jaque en 1938 et participe à « Boule de Suif » (Christian-Jaque, 1947). Dans « Eaux troubles » de Henri Calef en 1949, il interprète même son propre rôle. Plus tard, on l’apercevra dans « Nous sommes tous des assassins » d’André Cayatte, 1952. Ses dernières apparitions remontent à 1958, dans « Rafles sur la ville » de Pierre Chenal et dans un film hispano-suédois, « Llegaron dos hombres ». Mais ce que nous retenons de cet artiste éclectique est son répertoire poétique, engagé et sa voix de chanteur attachant.
Au début de la seconde guerre mondiale, il rencontre Francis Lemarque qui l’encourage. Mais ce sont les années de guerre. Le jeune artiste se réfugie dans le sud de la France, à Marseille, en zone libre, avec le Groupe Octobre (organisation affiliée à la Fédération des théâtres ouvriers de France). Grâce à son frère André, il évite le STO (Service du Travail Obligatoire). Mais la vie parisienne lui manque, il remonte très vite à Paris où il effectue un tas de petits boulots en semi-clandestinité. On l’aperçoit au Bœuf sur le Toit. On le croise dans le milieu artistique de Saint-Germain-des-Prés. Il a tout juste 20 ans quand il écrit ses mémoires intitulées "Enrico", un ouvrage qui reçoit le Prix de la Pléiade à la Libération en 1945. Artiste polyvalent, il compte maintes cordes à son arc. Vers 1947, il se met à la peinture. Mais surtout, il commence à s'intéresser plus sérieusement au chant. Dans les cabarets en vogue, il chante Boris Vian ou Jacques Prévert. En 1951, le jeune chanteur enregistre un tout premier disque avec quelques titres importants tels Rue de Lappe (de son ami et mentor Francis Lemarque), Si tu t'imagines et Barbara. C'est également à cette époque qu'il monte pour la première fois sur la scène d'un grand music-hall, Bobino. Jacques Canetti, célèbre agent artistique et patron du cabaret les Trois Baudets, le prend alors sous son aile. Il lui fait enregistrer Comme un p'tit coquelicot qui obtient le Grand Prix du disque 1953 et le Prix Charles-Cros en 1952 et 1953. Même succès pour Un jour tu verras en 1954 extrait du film « Secrets d'alcôve ». Mais toujours engagé et militant pacifiste, Mouloudji rencontre quelques soucis lors de la Guerre d'Indochine. Son interprétation du Déserteur, manifeste anti-militariste écrit et cré par Boris Vian, provoque un scandale et il devient la cible des censeurs et des politiques. La chanson est interdite d'antenne. Seule la station Europe1 la diffuse. Cette première censure le poursuivra et par la suite, d'autres titres connaîtront le même sort.
Sa femme, Louise Fouquet, dite Lola, devient son agent artistique et l’accompagne, de 1943 à 1969. Ensemble, après avoir signé chez Vogue en 1961, Mouloudji crée sa propre marque de disques sous forme d'une coopérative. C'est ainsi qu'il lance en 1965 un jeune Néo-zélandais installé en France, Graeme Allwright. Peu enclin à se fondre dans l'industrie du disque, Mouloudji n'a pas le succès qu'il a connu dans les années 50 avec le cinéma. En 1966, il monte même un salon de coiffure. Lorsque surviennent les événements de Mai 68, c'est le militant politique qui chante dans les usines comme en 1936. Rester intègre et ne pas sacrifier ses convictions à sa carrière est essentiel pour lui. A partir de cette même époque, deux femmes rentrent dans sa vie. D'abord, Cris Carol, ancienne chanteuse, qui devient sa compositrice privilégiée ces années-là. Et Lilianne Patrick, comédienne, avec laquelle il partage désormais son existence. Toujours présent lors de combats politiques, il participe en 1974 à l'enregistrement d'un album consacré aux chants et poèmes de la Résistance. On l'entend également sur une compilation de chants ouvriers et une autre sur la Commune, insurrection révolutionnaire et prolétarienne de l'an 1871. Sa lutte se passe aussi sur scène comme lorsqu'il participe à un gala de soutien à la gauche chilienne en 1974.
Cependant, un public très fidèle est toujours à l'affût de ses prestations scéniques. C'est ainsi qu'en 1974 lorsqu'il monte sur la scène du Théâtre de la Renaissance, c'est avec joie qu'il constate avec quel enthousiasme il est accueilli. Idem en septembre 75 pour son retour à l'Olympia. Il monte quelques spectacles consacrés aux poètes comme ceux du Vieux Colombier sur Prévert ou Bruant. Parallèlement, il continue d'écrire et d'enregistrer : Merci la vie en 74, Madame la Môme en 75. En 1976, il enregistre avec l'accordéoniste Marcel Azzola une anthologie du musette, Et ça tournait et un disque pour enfants composé exclusivement des textes de Jacques Prévert. Le Bar du temps perdu en 77 remporte le Grand prix du disque. Comme une feuille en automne sort en en 78. Deux ans plus tard, il sort un album Inconnus Inconnues et donne d'innombrables concerts à travers le pays mais les médias s’en font rarement l'écho. Fatigué, il consacre plus de temps à l'écriture et à la peinture, ses anciennes amours. On le retrouve sur scène en 1987 à l'Élysée Montmartre. A 70 ans, en 1992, une pleurésie lui enlève en partie sa voix. Cela ne l'empêche pas de sortir un album qui n'aura cependant pas le temps de voir le jour. En mars 1994, il est invité au festival Chorus des Hauts-de-Seine en région parisienne pour un hommage. Puis il donne un ultime récital près de Nancy en avril. Il s'éteint le 14 juin 1994 alors qu'il avait de nombreux projets en route, entre autres, la suite de ses mémoires 50 ans après le premier volume. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Artiste libre et libertaire, Mouloudji a exploré maintes facettes des Arts, le théâtre, la peinture, l'écriture et bien sûr, la chanson. Homme de conviction, il demeure présent dans l'inconscient collectif grâce à tous les standards qu'il a créés, de sa voix de velours, de sa gouaille révoltée, de son jeu d'interprète passionné. Pour commémorer les vingt ans de sa disparition, en 2014, ses enfants, Annabelle et Grégory Mouloudji, reprennent le flambeau et font redécouvrir leur père, la qualité de son répertoire, sa sensibilité, à ceux qui l'ont aimé ainsi qu'aux nouvelles générations. Au travers de ce projet intitulé Hommage à Mouloudji, en souvenir des souvenirs, une poignée d'artistes fascinés par le « Gamin de Paris » donnent une nouvelle vie à ses grands succès incontournables, parmi ceux-ci : Louis Chedid, Alain Chamfort, Annabelle Mouloudji, Frédéric Lo, Christian Olivier (Têtes Raides), Daphné, Melissmell, Maud Lübeck, Jil Caplan, Baptiste W. Hamon et Grégory Mouloudji.
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