Somethin' Else

Chronique

Ce n’est pas une époustouflante technique qui a attiré le public vers le plus vieux des frères Adderley (Nat est, quant à lui, un maître du cornet). Cannonball est un farouche instrumentiste depuis ses timides débuts, au Cafe Bohemia de New York, et en 1955, aux côtés d’Oscar Pettiford, mais sa marque de fabrique, la touche unique qui fait du natif de Tampa (Floride) l’un des plus brillants saxophonistes altos de l’histoire du jazz, c’est son dynamisme, et un jeu plein de jovialité et d’exubérance.



L’Américain est grand et gros, et aborde son instrument avec la même hauteur d’esprit, et une semblable massivité enracinée. Alors que nombre de ses collègues se fourvoient dans des déchirements romantiques, Adderley, pour ce qui le concerne, joue, sûr de son art, et heureux d’être là. Ainsi de la session de Somethin’ Else : qui ne se serait pas pétrifié à l’idée de retrouver en studio Hank Jones (plus grand pianiste qu’ait jamais offert Detroit), le contrebassiste Sam Jones (qui, sans lien de parenté avec le précédent, n’en reste pas moins un émérite jazzman, et la cheville ouvrière du futur quintet d’Adderley), et Art Blakey, par ailleurs batteur et poumon des Jazz Messengers ? Et que dire de Miles Davis, bien sûr, prince trompettiste, et inventeur de la distanciation jazzy ?



Emballé dans un conditionnement au design janséniste, la session est donc historique, naturellement, et ce quintet provisoire s’y emploie à revisiter quelques standards (une partition de Cole Porter, ou même les hexagonales « Feuilles mortes - Autumn Leaves » de Prévert et Kosma), et autant de partitions originales (« Somethin’ Else » est une composition signée Davis, déterminée et élégante à la fois). Sans mépriser les thèmes évoqués, tous superbes, on peut néanmoins considérer que ces solistes épiques auraient pu, sans dommage pour le résultat final, s’attaquer au Bottin, ou à une chanson de seconde zone. Les cinq musiciens se trouvent en effet en permanence, se répondent, et se motivent, dans une talentueuse partie/party, qui est moins la conséquence de l’habitude, que d’une grande convergence esthétique.



Un an plus tard, presque jour pour jour, Adderley et Davis se retrouveront en compagnie de John Coltrane, pour l’enregistrement d’un nouveau chef d’œuvre, mais qui, lui, marquera le développement du jazz : Kind Of Blue. Contrairement à ce que l’on pourrait hâtivement penser, ce n’est pas une autre histoire, mais bien la suite glorieuse de Somethin’ Else.









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