Shahbaaz

Chronique

En 1991, deux années après le premier enregistrement pour le compte du label de Peter Gabriel (Real World), Nusrat Fateh Ali Kahn est une star, sans doute la plus importante de la musique non occidentale du moment.   Ce triomphe se nourrit de deux paramètres principaux : avant de voir son éclosion sur le marché mondial, le Pakistanais a rodé technique, son inspiration et son improvisation sur l’ensemble du sous-continent indien et, pendant des années de tournées (elles-mêmes succédant à des années d’apprentissage), se frottant à divers idiomes, et diverses sensibilités culturelles, de la plus raffinée à la plus populaire.   De plus, Real World a, dès le début, totalement respecté l’approche particulière que pouvait avoir de la musique (longues plages, improvisations virtuoses et enfiévrées) ce maître du qawwilî. Ainsi, c’est, après un album (Mustt Mustt) où s’étaient invités synthétiseurs, moogs et guitares, le choix d’une instrumentation classique et traditionnelle qui prévaut ici – même si on peut relever de nouveau la présence du producteur canadien Michael Brook – respectueux d’une inspiration séculaire.   Shahbaaz permet en fait de constater que le chanteur ne se situe pas uniquement dans la révolution qu’on escomptait (mariage d’inspiration indienne et de sonorités médiées par la technologie occidentale). Car Nusrat offre ici ce qu’il a toujours tenté, ce qui l’a toujours tenté : une rencontre entre islam et hindouisme, entre profane et sacré, entre élitiste et populaire, entre passé et présent (à l’épreuve des 600 ans de culture musicale que peut revendiquer sa propre famille et de sa curiosité insatiable à surprendre tous les sons de la planète).   L’arme choisie pour cette épopée – le chant – est vigoureux comme la conviction, inventif comme l’enfant, méticuleux comme l’orfèvre. L’analogie serait facile avec l’univers et la puissance du rock : il n’en demeure pas moins que l’intensité proposée ici renvoie en quelques trilles à leurs chères études nombre d’apprenties vedettes. Et qu’elle jette un éclairage particulier sur les déclarations des intégristes iraniens qui, à la même époque que les séances d’enregistrement de ce disque, considéraient publiquement que la musique était à proscrire de la vie d’un bon musulman.   Pendant ce temps-là, Nusrat Fateh Ali Khan chante les louanges d’Allah. Et de l’amour.  

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