Noites Particulares

Chronique

Une longue plainte s’échappe de quelques violons épaulés par le reste de l’orchestre, bientôt rejoints par les douloureuses arpèges du piano, arrêtant immédiatement de notre oreille. Les premières mesures de la Fantasia Camille & Rodin nous plongent dans l’ambiance étouffante d’un film néo-noir, évoquant les scènes les plus sombres d’un drame de Fritz Lang ou Orson Welles. La musique d’Alexandre Guerra, amplement cinématographique, nous obsède et nous hypnotise sous son charme vénéneux. On est parcouru d’un délicieux frisson d’angoisse sans vouloir chercher à lutter contre. On ne pouvait pas trouver meilleur titre que Noites Particulares (littéralement “Soirées privées” en portugais brésilien) à cet album clair-obscur, suintant un désir et une sensualité derrière lesquels se cachent peut-être des pulsions bien plus macabres. Noyées dans une immense mélancolie ces “soirées privées” tiennent bien plus des déchirements conjugaux que du salon mondain. Le saxophone faisant une douce irruption dans la suite en cinq mouvements Divagações Sobre a Noite nous offre un magnifique contrepoint ironique aux chromatismes déchirants qui traversent l’écriture splendide et raffinée d’Alexandre Guerra, en particulier dans le 4e mouvement, délicieusement rétro. Car la noirceur de cette musique cache un je ne sais quoi de profondément lumineux. On pense notamment aux rythmiques tango du mouvement final, où saxophone et violoncelle semblent s'adonnent à un étrange ballet du chat et de la souris. Inclassable Noites Particulares ? L’album l’est assurément. On tient là un objet singulier, fascinant, déroutant…bouleversant. © Pierre Lamy/Qobuz