Ma bande originale

Chronique

On pourrait parfois être mû par le désir irraisonnable de clamer haut et fort que tout ce que vous entendez (voire, écoutez) ici est peut-être joli, mais pas franchement quiet, car conséquence de la disparition tragique de Marie-Hélène Picard, emporté par un cancer du poumon, mère d’un petit garçon, et compagne de Thibaud Defever, guitariste émérite et chanteur tendre. Disparition qui, de facto, fit passer le duo de Presque Oui au format de solo absolu. Et, après tout, tout ceci ne nous regarde pas. Mais, bon sang de bois, comment voulez-vous aborder l’opus comme on le ferait d’une quelconque tête de gondole de télé-réalité ?


D’accord, on va le faire.



Ma bande originale est donc le troisième album d’un groupe qui dit encore son nom, une sélection de quatorze chansons nettes à forte dominance acoustique (une guitare virtuose en mine de rien, un peu de piano au fond du couloir, parfois une flûte, et un violoncelle toujours apte à faire écraser une larme aux gros bêtas de critiques, d’ailleurs c’est Sylvain Berthe qui tient les deux pupitres pré-cités, sans compter les percussions), et parcimonieusement illuminé d’une voix en douceur et clair-obscur (on est plutôt emmitouflé dans l’âtre d’Alain Souchon que dans la pampa beuglante de Pagny, voyez).

Le directeur artistique de l’entreprise est Abaji, Libanais d’origine arménienne, et désormais résident en France, comme chacun sait terre d’accueil. Et Isabelle Haas a prêté la main aux compositions des saynètes, annoncées comme quatorze voyages en bus interstellaire, en train électrique, en cocotte-minute et en rêve à vapeur. Alors, voilà, les chansons font du petit bois des gourous (mais comme on est doté d’un redoutable mauvais esprit, « Le Capitaine du firmament » nous fait quand même irrésistiblement penser à Pascal Obispo), des pianos (ceux qu’on croise en cuisine, dans « Le Feu sous la toque »), et de ces oiseaux à qui l’on crèverait bien les yeux pour leur apprendre à un peu moins chanter (« Rossignol » et ses insupportables chœurs hawaïens).

Tous ces arbres, certes mélodiques et méritants, qui cachent la forêt de « Mi-clos », à l’exact mitan de l’œuvre, rappellent toutefois, et fort à propos, que Defever donne rarement sa part au chien pour ce qui est de la sensibilité, le rendu en quelques mots de la détresse et de la douleur, et la peinture d’une réalité derrière la réalité. On serait extravagant, on aurait alors désir de parler de grand talent en devenir : cela tombe bien, on est extravagant.

Á l’instant de rendre l’antenne, on nous informe que Thibaud Defever serait d’origine lilloise : ce n’est pas grave, on l’aime quand même. Plus prégnant : on n’arrive pas à remettre la main sur nos albums de Gilbert Lafaille : bien dommage, car il y aurait largement de quoi comparer, dans la façon d’aborder la réalité en biaisant, et la faculté de toucher sans y toucher.





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