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Chronique

C’est au cours des mythiques et torrides jam-sessions par lesquelles le saxophoniste ténor new-yorkais Ilhan Ersahin a rendu mondialement célèbre dans les cercles underground les afterhours de son petit club de l’East Village, le Nublu, que cet improbable trio l'unissant au batteur Kenny Wollesen (partenaire historique de John Zorn et Bill Frisell mais aussi de Tom Waits ou Norah Jones !) et au guitariste Dave Harrington (principalement connu pour avoir formé au tournant des années 2010 avec Nicolas Jaar le duo de musique électronique Darkside) a vu le jour et développé in situ une identité musicale fondée principalement sur le groove et la transe. Aucune trace phonographique ne témoignait jusqu’alors de l’originalité de la formation qui, au fil des années, n’a cessé de se renforcer.

Il aura fallu qu’Harrington, à l’été 2019, en marge de l’enregistrement d’une musique de film, ait l’idée de convier ses camarades à investir le studio où il travaillait, afin d’enregistrer l’espace de quelques nuits hallucinées de longues séances d’improvisations renouant avec la fièvre des jams du Nublu, pour que cette anomalie soit rectifiée. Aussitôt, le parti fut pris de ne pas livrer les bandes au public telles quelles, mais de leur faire subir en une série d’allers-retours un minutieux travail de postproduction – Harrington coupant, samplant, remontant, ajoutant de multiples couches de percussions et de guitares aux enregistrements d’origine “à la manière de Teo Macero dans le fameux Bitches Brew de Miles Davis” – Ersahin et Wollesen réenregistrant lignes de saxophone et grooves de batterie à partir de ce nouveau support en un fascinant second temps compositionnel. Le résultat est une musique atmosphérique, envoûtante et vénéneuse, se déroulant comme dans un rêve éveillé à la manière d’un film de David Lynch, portée par le saxophone lyrique d’Ersahin filtré d’effets électroniques et pulsée de grooves lancinants tour à tour terriens et cotonneux, embarquant définitivement l’ensemble du côté de la transe et de l’hypnose. © Stéphane Ollivier/Qobuz