Eating Us

Chronique

Les Black Moth Super Rainbow, ci-devant néo-hippies, portent parfois des masques et des costumes chamarrés, s’affublent de noms de scène qui ne font rire qu’eux-mêmes (Father Hummingbird), et rallient la campagne de Pittsburgh pour y produire des sons étranges : il est en Pennsylvanie des gens étranges. Ailleurs également, on le concède, mais la bande de Tobacco (pseudonyme du leader des Blackies), dans son addiction aux machines aussi déjantées qu’analogiques (le vocoder, qui donne au chanteur le sentiment d’avoir respiré de l’hélium, ou le mellotron, immortalisé par les Moody Blues au siècle dernier), met la barre bien haut.

Le versant sonique étant finalement assuré par les couleurs irisées d’une pop qui n’est pas sans rappeler les premières productions de Air, certains instrumentaux sonnent parfois comme la bande son d’une after de La Messe Pour Le Temps Présent de Pierre Henry et Michel Colombier. La carte de visite du groupe est complétée par une fascination égale pour la pop, le psychédélisme et les musiques électroniques, ainsi qu’une amitié indéfectible pour les Flaming Lips (c’est par ailleurs Dave Fridmann, producteur de ces derniers, qui est aux manettes de Eating Us, quatrième album du groupe, et pour la première fois enregistré dans un vrai studio).

Tout ce qui précède a manifestement été utilisé avec frénésie dans les sessions qui nous occupent. Tout, à savoir quelques soupçons de guitares noyés dans une section rythmique manifestement enregistrée depuis le fond du jardin, des synthétiseurs-jouets mis en valeur jusque dans leurs grésillements, et un chant, donc torturé par des filtres sans nul doute achetés en solde chez un faillitaire. Le merveilleux de l’aventure reste que chacune de ces onze chansons recèle l’un de ces petits bonheurs qui offre des couleurs d’arc-en-ciel au quotidien : parfois, il s’agit d’une mélodie tout droit échappée d’une comptine enfantine (« The Sticky »).

Ailleurs, c’est la béatitude mélodique (« The Fields Are Breathing », rien que le titre, il convient d’oser) qui emballe, ou la cavalcade étrange de bourdonnements harmoniques (« Smile the Day After Today », rien que le titre…). La clé de cette séduction protéiforme reste naturellement que ces types sont des originaux, et l’énigmatique leur credo absolu, parfois saupoudré de provocation (le banjo de « Bubblegum Animals », souillé des clapotis des ordinateurs).

Accessoirement, Papillon de Nuit Noir Super Arc-en-Ciel propose de vraies chansons (avec de vraies bout de refrains dedans), de vrais climats, et une hébétude bucolique parfaitement réparatrice : autant dire qu’il se positionne sur la rampe de lancement d’un produit subsidiaire de Mgmt, et que c’est tout le malheur qu’on leur souhaite.



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