Carnaval

Chronique

Décidément, il faut dès maintenant suivre de très près les jeunes artistes du label Scala Music. En à peine deux ans d'existence et une quinzaine d'album à son actif, la maison a su tirer son épingle du jeu, tant dans la sphère baroque que contemporaine, dans le jazz comme dans le XIXe romantique. Avec une part de choix laissée aux jeunes premiers du piano. On avait déjà vu le splendide Lost Paradises de Joyline Gallavardin (Qobuzissime 2022), l'énigmatique Noctuelles de Tom Carré, le somptueux Clairs de Lune de Pierre-Yves Hodique. Après un premier album prometteur paru en 2020 chez Passavant, c'est au tour de la jeune pianiste marocaine Nour Ayadi d'ajouter une merveilleuse pierre à l'édifice Scala avec Carnaval, un disque magistral en regards croisés Poulenc-Schumann.
Du premier on aura droit aux élégantes Soirées de Nazelle, composées entre 1930 et 1936. Née dans les salons où Poulenc et ses amis s'amusaient à improviser sur un thème donné, cette suite de courtes pièces trouve sous les doigts inspirés d'Ayadi une expressivité des plus raffinées soutenue par une prise de son claire et ample. Un véritable bijou de sophistication où l'élégance des lignes le dispute à la plus délicieuse espièglerie.
D'inspiration plus romantique, les 3 Novelettes de Poulenc permettent une transition en douceur avec les Novelettes de Schumann, lequel vient clôturer ce programme par l'un de ses plus grands chefs-d'oeuvre : le Carnaval de Vienne. L' "Allegro" d'ouverture et le "Finale" montrent toute la virtuosité de l'interprète : sa gestion millimétrée des ambitus sonores, l'équilibre parfait des basses généreuses et des lignes mélodiques sont admirables dans cette partition d'une redoutable difficulté. Au milieu, le "tube" Intermezzo dans lequel Ayadi opte pour un tempo enlevé et énergique, est un bonbon pour l'oreille, d'une revigorante fraîcheur. 
La fluidité du geste est telle qu'on aura écouté le disque d'un seul souffle. Avec la conviction, une fois l'écoute terminée, de voir l'éclosion d'une immense pianiste. © Pierre Lamy/Qobuz