Leonard Cohen
Influent au possible, celui qui tire sa révérence le 10 novembre 2016, quelques jours seulement après avoir sorti son quatorzième album, You Want It Darker, était de cette race des solitaires de l’histoire du rock. Un écrivain avant tout, qui se lança en musique sur le tard, à 30 ans passés, après avoir longuement voyagé en Europe (il vécut notamment plusieurs années sur l’île d’Hydra en Grèce) et publié de la poésie et des romans (Let Us Compare Mythologies en 1956, The Spice Box Of Earth en 1959, Flowers For Hitler en 1964, The Favorite Game 1963 et Beautiful Losers en 1966).
Ayant jeté l’ancre à New York au milieu des années 60, celui qui voit le jour à Montréal le 21 septembre 1934 côtoie la scène folk de Greenwich Village et commence à se faire un nom comme parolier notamment grâce à sa mythique Suzanne que popularise alors Judy Collins. En pleine effervescence artistique de la Grosse Pomme, Leonard Cohen monte pour la première fois sur scène en 1967. Le grand producteur John Hammond (déjà découvreur de légendes nommées Billie Holiday, Bob Dylan, Bruce Springsteen, Aretha Franklin et Stevie Ray Vaughan) le signe chez Columbia. A Noël de cette même année, il publie à 33 ans son premier album, Songs Of Leonard Cohen, qui contient d’ailleurs sa propre version de Suzanne, enchainant un an et demi plus tard avec Songs From A Room. Un hypnotique filet de voix monocorde, une capacité à sublimer le désespoir et les bleus à l'âme, Leonard Cohen est alors un genre à lui seul. Avec ce deuxième album, il trouve dans la production éthérée mais recherchée de Bob Johnston un parfait écrin pour ses chansons introspectives à la mélancolie ravageuse. Sur Story Of Isaac comme Bird On A Wire, il plonge l’auditeur dans la musique de chambre de sa chambre, oppressante mais magique.
Avec Leonard Cohen, la désolation devient attachante. L'austérité qui embrasse ses chansons souligne encore plus la puissance des textes. Et d’Avalanche à Joan Of Arc qui brillent sur Songs Of Love And Hate, son troisième disque qui parait en 1971, on reste figé par cette faculté à sculpter Amour et Haine avec autant de conviction.
Jusqu’au milieu des années 80, il est assez discret au disque (New Skin For The Old Ceremony en 1974, Death Of A Ladies' Man produit par Phil Spector en 1977, Recent Songs en 1979 et Various Positions en 1984 qui comprend son fameux Hallelujah) mais ses fans restent fidèles et guettent la moindre de ses sorties et ses apparitions.
Lorsque paraît I’m Your Man en 1988, Cohen, acteur majeur et à part de la scène folk alors âgé de 54 ans, prend tout le monde à contrepied. L’album s’ouvre non pas par un chapelet de notes jouées sur une guitare acoustique mais par… les rythmes effrénés de synthés hypnotiques ! Un habit chic et choc bien en phase avec son temps qui n’empêche évidemment pas le poète canadien de conserver la causticité de sa plume et le génie de ses assemblages de mots si singuliers. First We Take Manhattan est d’une ironie parfaite, Ain’t No Cure For Love transforme Cohen en vrai faux crooner décalé et I’m Your Man est juste l’une de ses plus belles chansons. Rarement l’âme humaine n’aura été sondée avec autant de justesse. Et d’humour. Car derrière tous les attributs du désespoir qu’on aime lui voir porter, Leonard Cohen jonglait avec élégance avec l’humour.
Après The Future qu’il publie en 1992, le chanteur baisse le rideau ! Cohen se retire au Mount Baldy Zen Center, un monastère bouddhiste près de Los Angeles. Là, en 1996, il est ordonné moine bouddhiste. Trois ans plus tard, il quitte finalement le monastère. Mais ce retrait de la vie musical ne prendra fin qu’en 2001 avec la publication de l’album Ten New Songs en 2001, puis Dear Heather en 2004. Après de nombreux live, il faudra attendre l’année 2012 pour entendre un nouvel album studio avec Old Ideas. En 2014 suivra Popular Problems, avant que la boucle soit bouclée avec You Want It Darker, son quatorzième album en forme d’ode magnifique et bouleversante – avec sa pointe d’humour voire de causticité – à ses thèmes de prédilection mais dans un contexte neuf. Produit par son fils Adam Cohen, ce disque testament propose ainsi un habillage musical inédit chez lui et plus ambitieux qu’à l’accoutumée. Fini les synthés à deux balles, place aux atmosphères chambristes fascinantes. La présence, par exemple, du chœur de la synagogue Shaar Hashomayim de Montréal – celle qu‘il fréquenta dès l’enfance – en plus de mettre en exergue sa judaïté à un moment fort de sa vie confère une spiritualité décuplée (mais parfaitement dosée) à sa musique. Evidement lorsque Leonard Cohen entame Leaving The Table par I'm leaving the table, I'm out of the game (Je quitte la table, je suis hors-jeu) ou sur la chanson You Want It Darker qu’il déclare I’m ready my Lord (Je suis prêt, Seigneur), on cerne très très bien son propos… Sauf qu’ici, rarement Leonard Cohen n’aura fusionné texte et musique avec autant de génie. Un grand disque ? Doux euphémisme… Leonard Cohen meurt quelques jours plus tard, le 10 novembre 2016, à Los Angeles. © MZ/Qobuz
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