Caroline Shaw: Evergreen

Chronique

En 2019, Caroline Shaw et l’Attacca Quartet sortaient leur premier album collaboratif, Orange, qui fit l’effet d’une bombe. Le disque reçoit les éloges d’une presse unanime et se hisse en haut des charts classiques, culminant jusqu’à recevoir le prix du meilleur enregistrement de musique de chambre aux Grammy Awards 2020. Trois ans plus tard, la compositrice cheffe de file de la musique contemporaine américaine et l’iconoclaste quatuor sont de nouveau réunis pour présenter Evergreen, un disque bouleversant paru chez Nonesuch Records. 

The Evergreen, pièce centrale du disque auquel elle donne son nom, fut inspirée à Caroline Shaw par une promenade en forêt sur l’île Galiano (côte ouest canadienne). L’œuvre en quatre mouvements, décrite par la compositrice comme une offrande à un arbre, reflète le cycle d’une nature en perpétuelle renaissance : les instrumentistes alternent un jeu ponticello et nuances fortes qui provoquent de magnifiques contrastes tout en dissonnances. Artiste complète et protéiforme, Shaw prête également sa voix dans deux mélodies étincelantes de pureté, And So et Other Song – on avait déjà pu entendre cette dernière dans une version pour percussions sur un précédent album de la musicienne, Let the Soil Play Its Simple Part, que nous avions récompensé d’un Qobuzissime. 

Chez Caroline Shaw, l’inspiration peut prendre sa source dans des éléments aussi divers que la nourriture, les arts visuels ou des formes étranges que l’on peut trouver partout dans la nature. Pour Three Essays, il s’agissait de retranscrire la prosodie et le rythme langagier de son autrice favorite, Marilynne Robinson : de somptueux glissendos répondent à des séquences ultra-syncopées, jouées staccato, avant de laisser place à la lenteur du second mouvement, pour ensuite reprendre un tempo minimaliste plus soutenu dans la troisième partie. Le triptyque est une merveille d’équilibre dans sa diversité de composition, les Attacca interprétant la partition avec une sensibilité des plus rare. Nous cueillant toujours là où l'on ne les attendrait pas, Shaw et l’Attacca Quartet clôturent ce disque avec une réinterprétation d’un poème galant du XIIe siècle attribué au trouvère Gace Brulé, dans une relecture contemporaine absolument exquise que Caroline Shaw magnifie de sa voix pure, à la blancheur intemporelle. 

La seconde collaboration de la compositrice et du quatuor est un bijou de perfection qui atteint un niveau de raffinement inouï. Il ne fait aucun doute qu’Evergreen restera longtemps comme une référence dans la musique de chambre contemporaine. Ne reste qu’à souhaiter à Shaw et aux Attacca de travailler ensemble le plus longtemps possible. © Pierre Lamy/Qobuz