Crescendo in Duke

Chronique

Si l’on peut parler de disque duel, oublions les rendez-vous du petit matin à fleurets non mouchetés : le pianiste – adepte du piano préparé - et arrangeur Benoît Delbecq s’est attaché ici à l’appariement d’une section de souffleurs et d’une rythmique de tous âges sises à Meudon (Hauts-de-Seine), et, en alter-ego, de leurs homologues, résidant à Minneapolis (Minnesota).
 
Se pressent ainsi sur cette piste aux étoiles jazzy le clarinettiste Tony Coe, Antonin-Tri Hoang et sa clarinette basse en vacances de l’Orchestre Nationale de Jazz, le batteur Steve Argüelles, ou Michael Bland (qui réalise l’exploit d’avoir frappé sur des tambours pour le compte de Michel Portal, et de Prince), ainsi que quelques-autres. Le plus petit dénominateur commun de tous ces curieux impénitents est donc Ellington, sa luxuriance et ses larges embrassades (de la vie, de la musique, et de la philosophie musicale), ici présent en quinze thèmes, pas forcément les plus célébrés par le temps qui passe. On en veut pour preuve la suite, réarrangée et réorchestrée, évocatrice du château de Goutelas, somptuosité du Forez aujourd’hui transformée en site de séminaires, mais qui fit sur Ellington lors de sa restauration une impression assez prégnante pour qu’il lui consacre cette pièce.

Le Duke donc et toujours, une vieille histoire de fascination pour Delbecq (et pour l’écrasante majorité des jazzmen à travers le monde) qui gère magnifiquement l’intimidation qu’il a pu éprouver, à l’approche de la moindre des partitions du maître. Comme une profession de foi, une citation en exergue (tu dois trouver la manière de le dire sans le dire) résume parfaitement l’approche des harmonies impressionnistes, où l’on sait néanmoins parfaitement qui (a) fait quoi : chaque thème est annoté de la date originale d’enregistrement, et la riche iconographie fait la part belle aux portraits d’Ellington, de Mahalia Jackson (« Portrait of Mahalia Jackson », ici interprété) et aux illustrations de Frankie Alarcon. Mais, par-delà les révérences émues, Delbecq s’impose absolument comme le nouvel artisan d’architectures rénovées, transcontinentales, et transculturelles.

Avec, in fine, un bilan comptable incomparable : que nous disent, en effet, ces solistes inspirés, ce maître d’œuvre attentif, et ces morceaux visionnaires ? Que Crescendo In Duke constitue assurément l’un des plus beaux albums de jazz de 2012.

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