Ferenc Fricsay
« Un cadeau de Dieu » qui lui a appris la patience pour avoir la chance de s’améliorer. C’est ainsi que Ferenc Fricsay parlait de sa maladie, un cancer de l’estomac qui l’emportera à l’âge de 49 ans en 1963. Pudeur et lucidité, une double attitude de l’homme comme de l’artiste. « J’ai navigué entre la vie et la mort. C’était nécessaire. » De rémissions en rémissions, le grand chef hongrois côtoie la mort, une proximité qu’il tente d’apprivoiser et qui donne à ses interprétations une profondeur dans l’expression qui suscite l’émotion. Cette nouvelle vision de son art a duré un peu plus de deux ans, jusqu’au moment où ses forces l’abandonnèrent avant que la maladie le fasse peu à peu sombrer dans les ténèbres.
La carrière de Fricsay a pris un tour international dès la fin de la guerre au moment où il dirige la création de La Mort de Danton de Gottfried von Einem au Festival de Salzbourg, en 1947. L’année suivante c’est encore lui qui dirige Le Vin herbé de Frank Martin pour sa création scénique, puis Antigone de Carl Orff en 1949. A Berlin, on lui confie la direction de l’Orchestre Symphonique de la RIAS (la radio du secteur américain). C’est au cours de la décennie suivante qu’il commence vraiment à enregistrer des disques pour DG qui deviendront vite des légendes, la Symphonie Pathétique de Tchaïkovski, la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak, Harry Janos de Kodaly, les Concertos pour piano de Bartok et toux ceux de Mozart avec Geza Anda, la Messe en ut mineur et La Flûte enchantée de Mozart. Les deux compositeurs avec lesquels on l’identifie si souvent, même si son répertoire est considérable et très tourné sur la musique de son temps.
Cet humaniste avait travaillé à Budapest, sa ville natale, avec Bartok et Kodaly, tout en s’initiant à la pratique de plusieurs instruments et en dirigeant, comme l’avait fait son propre père, un orchestre militaire qui apportait le grand répertoire classique symphonique au fin fond de la campagne et des villages hongrois. Puis la vie de Ferenc Fricsay avait suivi les turbulences que l’Europe vivait à cette époque. En 1942, une cour martiale le condamne pour son appartenance juive (du côté de sa mère) et pour avoir aidé des artistes juifs en les engageant parmi ses musiciens. Recherché par la Gestapo, il est obligé de fuir et de se cacher à Budapest dans des abris souterrains. La guerre finie, il dirige à l’Opéra de Vienne pendant quelques saisons, mais ce travail ne lui plaît guère. Obligé de diriger des œuvres qu’il ne répète pas lui-même, comme il est de coutume dans un théâtre de répertoire où l’on change d’œuvre et de personnel scénique et de musiciens tous les soirs, il a le sentiment de trahir la musique et donne sa démission au bout de quelques saisons.
En 1948, Ferenc Fricsay signe un contrat exclusif avec la Deutsche Grammophon Gesellschaft (DG), devenant un des rares artistes à ne jamais enregistrer pour un autre label. A l’occasion du centième anniversaire de la naissance du chef d’orchestre en 2014, DG a publié un imposant coffret de 45 CDS (disponible sur votre QOBUZ) regroupant la totalité de ses enregistrements. Un trésor pour les mélomanes, car parmi des gravures restées célèbres on y trouve toute une série d’œuvres qu’on avait un peu oubliées. Les enregistrements ont eu lieu pour la plupart au Titania-Palast à Steglitz, un quartier de Berlin, seul salle de concert épargnée par les bombes. C’est vers le milieu des années cinquante que Fricsay constitue peu à peu une équipe d’artistes avec laquelle il aime travailler : Dietrich Fischer-Dieskau, Josef Greindl, Elisabeth Grümmer, Maria Stader, Ernst Haefliger, Géza Anda, Annie Fischer, Irmgard Seefried et son mari Wolfgang Schneiderhan, Gerty Herzog et Margrit Weber, et dans les années suivantes Clara Haskil et Yehudi Menuhin.
En piochant dans ce vaste corpus on ne peut qu’être touché par une direction d’orchestre à la fois précise, lumineuse et humble. Cette publication exhaustive permet aussi d’évaluer dans sa totalité le rôle historique de Fricsay, de mesurer la variété de son répertoire et le chemin parcouru. Si Fricsay fut un interprète privilégié de Haydn, Mozart et Beethoven, il a été aussi un des principaux propagateurs de la musique des ses compatriotes Bartok et Kodaly dont il a laissé des enregistrements de référence.
© FH – décembre 2017 /Qobuz
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