Richard Wagner
Né en 1813 à Leipzig en Allemagne, Richard Wagner n'avait pas treize ans qu'il écrivait déjà un monument dramatique, plagiant allègrement Le Roi Lear, Hamlet, Macbeth et Richard III à la sauce Goethe. Au premier acte, il trucide déjà quarante-deux personnages, de sorte qu'il dut les rappeler sous forme de fantômes pour ne pas se retrouver scène vide. Certes, quarante-deux, c'est le chiffre cité par Wagner dans ses mémoires, même si le manuscrit ne totalise que 18 cadavres, à moins qu'il n'ait comptabilisé les spectateurs morts de rire. Dès lors, il décida de mettre ses drames en musique - car, vous l'a-t-on dit, ce premier opus meurtrier n'était pas un opéra mais une tragédie. Restait seulement à apprendre la musique puis la composition, le tout en autodidacte, une bagatelle pour cet ogre de création et de travail.
À l'âge de vingt ans, petit employé d'un petit théâtre de province, il était déjà à la tête d'un premier opéra inachevé, d'un deuxième tout aussi raté bien qu'achevé, et qui ne fut jamais joué de son vivant. D'intrigues en supplications, il décrocha un poste de chef d'orchestre dans un théâtre moins riquiqui ; il n'en fallait pas plus pour que Herr Kapellmeister en profite pour moudre illico un nouvel opéra qu'il pourrait monter de ses propres mains dans son théâtre : ce fut La Défense d'aimer (Das Liebesverbot), un navet qui quitta l'affiche après deux représentations. Wagner se retrouvait à la tête d'un humiliant échec et la tête dans les dettes jusqu'au cou, une malédiction qui devait le suivre toute sa vie car il était un véritable panier percé. Sous couvert d'un jupon, il prit ses jambes à son cou et accepta un poste à Riga où ses habitudes n'étaient pas encore connues : la Lettonie allait connaître sa douleur ! Car trois ans plus tard, Wagner s'enfuyait de Riga en laissant sur place suffisamment d'ardoises pour couvrir tous les toits de la ville : la nouvelle étape serait Paris où l'attendait, selon lui, gloire et fortune avec son nouvel opéra Rienzi qu'il comptait bien y faire triompher.
En fait de triomphe, la digne institution ne daigna pas même l'engager comme chef d'orchestre, et quant à son Rienzi... refus indigné. Wagner se retrouva donc à vivoter comme journaliste musical, vivant cahin-caha à Meudon-la-Forêt entre 1840 et 1842, rongeant son frein et les bourses de ses amis qu'il tapait à qui-mieux-mieux. C'est là qu'il acheva son premier vrai chef-d'oeuvre, Le Vaisseau fantôme, que l'Opéra de Paris s'empressa de refuser. C'est un autre compositeur déjà célèbre, Meyerbeer, qui s'arrangea pour que l'ouvrage soit donné à Dresde, en Saxe : Wagner quitta Paris et Meudon sans regrets, pétri de reconnaissance pour Meyerbeer qu'il remercierait plus tard en le traînant dans la boue la plus fétide.
En fait, Wagner resta six ans à Dresde, l'un des plus grands pôles intellectuels de l'époque. Rienzi y fut un vrai succès, de sorte qu'il profita de l'influence de Meyerbeer pour y faire donner aussi son Vaisseau fantôme - Meyerbeer serait gratifié d'une wagnérienne demande de prêt en guise de remerciements, puis de wagnérien mépris - et Tannhäuser. Ces trois triomphes le plaçaient d'emblée à la tête de la nouvelle génération de compositeurs allemands d'opéras contemporains (n'oublions pas qu'il n'avait alors que la trentaine !), la base de l'opéra moderne, à l'opposé du bel canto et des opéras « à numéros », avec des airs de bravoure séparés de la tradition italienne.
Mais Wagner, grande gueule devant l'Eternel et surtout devant tout le monde, embrassa violemment les théories révolutionnaires de Marx, Proudhon et Bakounine lors des révolutions européennes des années 1848 et 1849, de sorte qu'il dut fuir la Saxe muni d'un faux passeport pour se réfugier en Suisse. Pour une fois, il ne fuyait pas ses dettes. Dix ans d'exil politique à Zurich, avec dans ses valises Lohengrin, Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg (son seul opéra dans le genre de la comédie), ainsi que le germe de sa grande idée : une méga-production mythologique germanique, qui deviendrait plus tard son absolu chef-d'oeuvre, la Tétralogie - connue chez les gens comme il faut sous le nom allemand de Ring des Nibelungen.
Au cours de ses années suisses, Wagner ne perdit pas de temps : il commença la Tétralogie ainsi que Tristan et Isolde, une sombre histoire de trahisons et d'adultères. Toujours désireux de s'instruire, il prit les devants en s'essayant - pour la beauté de l'art, bien sûr - aux deux, trahison et adultère, avec la femme d'un riche ami : Mathilde Wesendonck, dédicataire de quelques Lieder enflammés et de ses ardeurs non moins passionnées. Il écrivit également de nombreux essais littéraires, musicaux et politiques (au style abracadabrantesquement ampoulé), recevait ses amis dont Liszt qui créait les opéras de Wagner à Weimar et d'autres villes allemandes pendant que le compositeur le remerciait en lui demandant toujours plus de sous. Il reçut aussi le couple Von Bülow alors en voyage de noces : Hans von Bülow, célèbre chef d'orchestre qui dirigerait par la suite bon nombre d'oeuvres de Wagner ; et Cosima von Bülow, la fille de Liszt, qui dirigerait par la suite son mari vers la sortie pour épouser Wagner. La chose fut finalisée lors de la création de Tristan et Isolde en 1865 à Munich : von Bülow donnait de la baguette tandis que Cosima donnait le sein à une fille de trois semaines prénommée Isolde et dont le père était ouvertement Wagner.
Revenons en 1860 : Wagner fut enfin amnistié et en profita pour quitter la Suisse, mais sans vraiment se fixer en Allemagne. Ce fut Weimar chez Liszt, Vienne où il retrouva les von Bülow, Saint-Pétersbourg, Prague, et Munich où il retrouva Cosima von Bülow sans Hans resté à la maison pour astiquer ses cornes. Certes, Wagner tenta de s'installer à Vienne mais bientôt ses créanciers et le fisc lui firent rapidement comprendre les vertus de la fuite instantanée. En 1864, il atterrissait chez l'un de ses principaux admirateurs, le jeune (et légèrement dérangé) roi Louis II de Bavière, qui lui octroya des fortunes pour combler ses dettes, à telle enseigne que le gouvernement bavarois dut royalement lui secouer les puces pour dilapidation de fonds publics. Wagner trouva malgré tout le moyen de vider le tonneau des Danaïdes financier par un bout tandis que Louis le remplissait de l'autre : il dut donc encore une fois jouer la fille de l'air devant ses créanciers, non sans avoir le privilège de voir produire Tristan et Isolde, Les Maîtres chanteurs, ainsi que les deux premiers volets de la Tétralogie, à Munich.
Mais tout cela n'était pas, selon Wagner, digne de son génie : il n'avait pas la main sur les décisions artistiques, le choix des chanteurs, la mise en scène, bref, rien qui satisfît son envie de Gesamtkunstwerk, l' « oeuvre d'art totale ». Il décida donc en 1870 de faire construire un opéra tout neuf où l'on ne donnerait que ses oeuvres, mégalomanie suprême - mais quel compositeur n'a pas rêvé d'une telle folie ? La ville de Bayreuth, flairant le bon coup de marketing (ils n'avaient pas tort : les retombées sont phénoménales) mit à sa disposition quelques fonds et un terrain sur une jolie colline ; Wagner trouva le reste du financement en quémandant partout, ouvrant des souscriptions à sa gloire, et même Louis II remit la main à la poche. Trois ans plus tard, le Festspielhaus était sorti de terre. On s'étonnera qu'un tel bâtiment ait put être construit si vite : en réalité, c'était une construction provisoire de bois et de briques en attendant plus glorieux, pas du tout le monstre d'ors et de rares marbres que l'on imagine... en fait de provisoire, rien n'a changé depuis, en particulier les sièges spartiates qui incitent certains spectateurs à venir avec leurs propres coussins.
À côté de son palais dédié à sa gloire, Wagner fit construire une belle maison, Wahnfried (« Paix après la folie » ou « Paix des illusions », selon les diverses possibilités de comprendre le néologisme) où il s'installa avec Cosima et leur nombreuse descendance.
En 1882, après que l'on y eut créé l'intégrale de la Tétralogie (dans l'assistance : l'empereur, Liszt, Bruckner, Mahler, Tchaikovsky et tout le gratin européen d'alors), Wagner y faisait créer son ultime chef-d'oeuvre, Parsifal : son dernier grand triomphe. L'année suivante, il s'éteignait à Venise en 1883. Ce sera Cosima qui présidera d'une main de fer sur les destinées du temple Wagnérien, pendant 47 ans, jusqu'à sa mort en 1930.
MT © Qobuz 01/2013
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