Chet Baker
Il est trois heures du matin. Un corps inerte git sur le trottoir devant le Prins Hendrik Hotel d’Amsterdam… Le visage est moucheté d’hématomes… Après autopsie, héroïne et cocaïne seront décelées dans les veines de cet Américain au visage ravagé par l’usure… S’est-il suicidé ? L’a-t-on poussé ? A-t-il trébuché ? La mort de Chet Baker ce vendredi 13 mai 1988 sera finalement à l’image de sa vie. Mystérieuse. Souvent tragique. Angélique aussi comme ce dernier saut dans le vide… Surtout, Chet restera comme un ovni de l’histoire du jazz. Cette sonorité de trompette si atypique, ce chant déchirant toujours aux frontières de la justesse, ce déchirement intérieur, bouleversant et sensuel, ce corps à corps avec la drogue comme une valse sans fin…
Né à Yale dans Oklahoma, le 23 décembre 1929, Chet Baker rêvait d’être le flamboyant Harry James lorsque son père lui offre sa première trompette. Son apprentissage de l’instrument lui fait rapidement croiser des pointures du jazz comme Lester Young. Il boit tout ce que ses oreilles entendent : du be-bop de Charlie Parker et Dizzy Gillespie aux big bands de Woody Herman et Stan Kenton, rien ne lui échappe. Dexter Gordon, Stan Getz et Paul Desmond sont quelques-uns de ses premiers complices sur scène. A l’aube des années 1950, Parker le repère et l’embarque en tournée sur la Côte Ouest. Chet enregistre alors sous la direction d’Harry Babasin et rencontre surtout le saxophoniste baryton Gerry Mulligan au sein d'un quartet sans piano, détail inhabituel pour l'époque. Le groupe qui joue chaque semaine au Haig sur Hollywood pendant plusieurs mois, devient rapidement populaire, grâce à la complicité du tandem Mulligan et Baker.
Début 1953, une autre pièce maîtresse en la personne du saxophoniste Lee Konitz vient se joindre au puzzle. Mulligan formera également un tentet auquel participera son complice trompettiste. L’été de la même année, Chet Baker forme son propre quartet avec Russ Freeman au piano. Durant deux ans, il enregistre profusément en quartet, sextet, septet, avec cordes, etc. A ses côtés, la crème du jazz west coast : Bud Shank, Zoot Sims, Jack Montrose, Shelly Manne… Chet livre alors un jeu de velours. Sa trompette dégage des effluves inédites de mélancolie. Avec l’album Chet Baker Sings, la carrière du trompettiste prend une toute nouvelle orientation. Cette voix si particulière en fait une icône culte que son physique de playboy ne fera qu’accentuer.
En 1954, Chet est élu trompettiste de l'année par toute la presse jazz américaine. N’en déplaise à certains musiciens noirs de l'époque. Dans son autobiographie, Miles Davis écrira : « Je crois qu'il savait qu'il ne le méritait pas plus que Dizzy ou beaucoup d'autres… Mais il savait aussi bien que moi qu'il m'avait beaucoup copié ». En septembre 1955, Chet Baker se rend pour la première fois en Europe. En France, il signe même un contrat avec le label Barclay, et enregistre dès le mois d’octobre avec son groupe. Quelques jours plus tard, son pianiste Dick Twardzik meurt d'overdose dans sa chambre d'hôtel. Accusé par les parents de son clavier, Chet décide pourtant de poursuivre cette tournée et enregistre à la tête de diverses formations, surtout françaises. Début 1956, après sept mois en Europe, Chet Baker revient aux États-Unis. Son style est alors plus dur et plus mûr. Après une longue tournée sur la Côte Est, il revient à Los Angeles et enregistre de nombreux disques notamment aux côtés du saxophoniste Art Pepper. A la fin de l'année, il est arrêté pour la première fois en possession de stupéfiants.
Au cours de l'année 1957, sa dépendance à l'héroïne se fait plus intense. En 1958, il signe avec le label Riverside et enregistre un album vocal et le sublime Chet avec le pianiste Bill Evans et le batteur Philly Joe Jones. Là encore, la maîtrise de son jeu ne l’empêche guère d’offrir une saveur mélancolique qui lui est propre. Comme un perpétuel chant du cygne… De nouveau en Europe de 1959 à 1964, Chet est arrêté, emprisonné ou expulsé à plusieurs reprises en Allemagne et en Italie. Ses ennuis avec la justice sont largement couverts par la presse à scandales. Il rencontre aussi en Europe des amis, de nombreux musiciens et un public plus réceptif que le public américain à ce genre d’ange à l’envol régulièrement brisé… Il s'initie alors au bugle à Paris.
En 1965, Chet Baker revient aux États-Unis et enregistre une série de disques pour le label Prestige. Sa popularité n'est plus celle des années 50. Les engagements se font de plus en plus rares. En 1966, il est agressé par des dealers à San Francisco : sa mâchoire est fracturée, ses dents cassées. Chet ne peut plus jouer ! S’ensuit alors une longue traversée du désert. Après plusieurs années de réapprentissage, le trompettiste remonte sur scène en 1973.
De 1975 à sa mort, Chet Baker jouera et enregistrera abondamment en Europe et aux États-Unis. Parmi les musiciens qui l'accompagnent, il trouvera des complices parfaits pour son jeu souvent déchirant : les pianistes Phil Markowitz, Enrico Pieranunzi, Michel Graillier,Alain Jean-Marie, les guitaristes Doug Raney, Philip Catherine et les contrebassistes Jean-François Jenny-Clark, Niels-Henning Ørsted Pedersen , Riccardo Del Fra et Jean-Louis Rassinfosse. Ses dernières années sont aussi celles d’une addiction de plus en plus intense aux drogues dures. Souvent, sur scène, prostré sur sa chaise, les jambes croisées, le menton rentré, Chet est une loque dont la vie ne semble plus tenir qu’à un fil. Parfois, dans l’antre de ces longues heures, interminables, qui suintent la mort, jaillit une petite musique inouïe. Comme un cri rentré. Une ode à la vie. Une souffrance magnifiée. Ces moments sont rares, certes. Mais d’une intensité unique ! Seul Chet pouvait livrer de tels rubis musicaux…
Dans le livre que Gérard Rouy consacrera à Chet Baker, le classieux contrebassiste transalpin Riccardo del Fra expliquera sa conception de la musique : « Je sentais chez lui une profondeur qui me bouleversait, j'ai aussi appris avec lui le contrôle de soi-même : c’est-à-dire essayer de faire l'essentiel. La perfection, on le sait, n'existe pas. Mais lui, quand il joue, il en est très proche. Et quand on joue avec lui, il faut vraiment servir la musique et se libérer de son ego. Disons que sa virtuosité est plus magique que technique. »
© Marc Zisman/Qobuz
Artistes similaires
-
The Legendary Riverside Albums
Jazz - Paru chez Craft Recordings le 22 nov. 2019
24-Bit 192.0 kHz - Stereo -
Blue Room: The 1979 Vara Studio Sessions in Holland
Jazz - Paru chez Elemental Music Records SL le 21 avr. 2023
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
BD Music Presents Chet Baker
Blues - Paru chez BDMUSIC le 25 juin 2004
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
-
-
Signature
Chet Baker, Jean-Louis Rassinfosse, Philip Catherine
Jazz - Paru chez Red records le 5 avr. 2024
24-Bit 48.0 kHz - Stereo -
Saga Jazz: Easy to Love (Modern Series)
Jazz - Paru chez Saga le 14 déc. 2004
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
Chet Baker Sings
Jazz vocal - Paru chez Pacific Jazz le 1 avr. 1954
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
Studio Trieste
Chet Baker, Jim Hall, Hubert Laws
Jazz - Paru chez Columbia - Legacy le 1 juil. 1982
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
Chet Baker Sings: It Could Happen To You
Jazz - Paru chez Craft Recordings le 1 août 1958
24-Bit 192.0 kHz - Stereo -
In New York (Hi Res [192/24])
Jazz - Paru chez Craft Recordings le 1 janv. 1958
24-Bit 192.0 kHz - Stereo -
At Capolinea (Remastered)
Jazz contemporain - Paru chez Red records le 17 mars 2023
24-Bit 48.0 kHz - Stereo -
The Complete Collection: 1953 - 1956
Jazz contemporain - Paru chez Chrome Dreams le 17 déc. 2012
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
-
Crystal Bells
Chet Baker, Philip Catherine, Jean-Louis Rassinfosse
Jazz - Paru chez Igloo Jazz Classics le 1 janv. 1985
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
The Best Of Chet Baker Sings
Jazz vocal - Paru chez Blue Note Records le 1 janv. 1989
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
The Chet Baker Quartet With Russ Freeman
Jazz - Paru chez Blue Note Records le 11 mars 1997
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
She Was Too Good To Me (CTI Records 40th Anniversary Edition)
Jazz - Paru chez CTI le 1 janv. 1974
Discothèque Idéale Qobuz16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
Peace - Enja 24bit Master Edition
Jazz - Paru chez ENJA RECORDS Matthias Winckelmann le 1 janv. 1982
24-Bit 44.1 kHz - Stereo -
Chet In Paris: Everything Happens To Me - The Complete Barclay Recording Vol. 2
Jazz - Paru chez Universal Music Division Decca Records France le 6 oct. 1988
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo -
Late Night Jazz (Deluxe Edition)
Jazz - Paru chez Hot Club Records le 14 janv. 2022
16-Bit CD Quality 44.1 kHz - Stereo