Salt

Chronique

La scène indie australienne réserve encore bien des surprises. Depuis une dizaine d’années, des piliers du genre tels que Tame Impala, Courtney Barnett ou King Gizzard & the Lizard Wizard ont atteint le statut d’incontournables, brandissant leurs différentes marques de grunge-psyché-stoner-alt-rock à la tête des plus gros festivals du monde. Ce qui nous amène à la cadette de ce mouvement : Angie McMahon. Elle a beau arriver dans le sillage de ces success stories, ce serait une erreur de la qualifier de suiveuse ou d’artiste mineure. Celle qui avait gagné en 2013 un concours Telstra puis s’était retrouvée en première partie de Bon Jovi, a pris le temps de trouver sa propre voie. Plutôt que de tout miser sur le succès à court terme, le momentum et la notoriété apportés par cette opportunité, la Melbournoise s’est retirée chez elle pour revoir sa musique et son identité artistique, qu’elle ne jugeait « pas à la hauteur ». Quatre ans s’écouleront avant la sortie de son premier single Slow Mover en 2017, qui sera certifié Or par l’ARIA. Puis la sortie de cinq singles additionnels entre 2018 et 2019 accroît rapidement sa notoriété auprès du public international. Elle a tourné avec The Shins, Mumford & Sons, Pixies ou encore Alanis Morissette, programmée en deuxième partie ou sur un pied d’égalité. C’est dire si l’attente a duré avant la sortie de Salt, son premier album.

En comparant sa performance de 2013 pour le concours Telstra Road to Discovery à son premier opus, on ne peut que la féliciter pour sa patience. Exit les sonorités country-folk qui avaient caractérisé son premier succès : Angie McMahon a retravaillé son univers sonore de façon radicale, soutenue par des guitares garage et une production brute, simple et efficace. Play the Game invite immédiatement le public à s’immerger dans son monde intime, rauque et sensible. Tiraillée entre son besoin d’affection et son caractère solitaire, elle murmure « About the situation, I can feel my teeth trying to break the ice ». Cette introduction en forme d’aveu introspectif donne suite à Soon, où elle ne tarde pas à dévoiler toute la puissance dynamique de son chant, tantôt guttural tantôt aérien. Son jeu de guitare est lui aussi éminemment varié, comme on peut l’entendre sur la piste suivante, Keeping Time : les breaks où elle recule au troisième plan, pour ne revenir qu’avec une énergie anthémique lors des refrains, explicite bien sa démarche artistique hypersensible. A fleur de peau, McMahon n’hésite pas non plus à user du second degré, dans Pasta Song où elle constate, à la façon de Courtney Barnett, mélancolique : « My bedroom is a disaster / My dog has got kidney failure (failure) / I've been sitting at the bar too much / Kissing people in my head ». Puis dans I Am a Woman, elle aborde un thème plus difficile : celui de la féminité et de ses clichés. C’est l’occasion pour elle de lâcher le volant et de laisser son émotivité débordante prendre le contrôle de la chanson, exprimant sa frustration et sa rage en un long crescendo. Arrive le point culminant de l’album, où elle hurle à gorge déployée son titre. En 2019, alors que la mode est plutôt au désengagement, à la froideur cool, il est rare de trouver des artistes qui acceptent de se dévoiler avec autant de candeur, sans s’enliser dans des formules recyclées. Angie McMahon déjoue ces pièges avec adresse. Un triomphe ! © Alexis Renaudat/Qobuz