Au cinéma ce soir

Chronique

Jean-Marc Luisada est un homme passionné. Le cinéma l’ensorcèle autant que la musique et son dernier enregistrement lui permet de concilier les deux univers chers à son cœur. En reprenant comme titre de son nouvel album celui d’une célèbre émission d’Armand Panigel à la Télévision Française, Au Cinéma ce soir, le pianiste nous invite à partager ses amours cinéphiliques avec une bonne dose de nostalgie dans le souvenir de l’amour bienveillant de ses parents auxquels ce disque semble entièrement dédié.
Les quatorze films choisis ici par Jean-Marc Luisada pour l’éditeur-bibliophile La Dolce Volta s’échelonnent de 1958 (Les Amants de Louis Malle) à 1979 (Manhattan de Woody Allen). Autant de films, autant de musiques inséparables de ce que raconte l’image. Mais quel choix de cinéphile gourmand et avisé ! La Dolce Vita de Fellini, côtoie Mort à Venise de Luchino Visconti, sans aucun doute un des plus beaux films de l’histoire du cinéma dans lequel l’adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler (transcrit pour le piano par Alexandre Tharaud) est le thème récurrent de l’impossible quête de Gustav von Aschenbach dans les ruelles de Venise illustrant les vers du poète August von Platen : « Quiconque a déjà contemplé de ses yeux la Beauté est déjà voué à la mort ».
Parmi tous ces films, il en est un qui a une saveur particulière, c’est le troublant Rendez-vous à Bray qu’André Delvaux tourna en 1971 d’après une nouvelle de Julien Gracq et dans lequel la musique des derniers opus pour piano de Brahms vient retourner l’âme comme un gant, en posant des questions essentielles sur l’absence, le silence et la confusion des sentiments. Les films évoqués dans ce bel album semblent avoir déteint sur les interprétations que Jean-Marc Luisada donne de Nino Rota, Mahler, Mozart (émouvante Fantaisie en ré mineur), Brahms, Wagner, Chopin (qui clôt le programme avec Cris et Chuchotements, le film d’Ingmar Bergman qui ausculte de manière impitoyable la difficulté des rapports humains), sans oublier le sourire éclatant de Scott Joplin et de George Gershwin dont Luisada donne une exubérante traduction de la Rhapsody in Blue. © François Hudry/Qobuz