Visto en el Jueves

Chronique

Après une poignée d’albums qui lui ont permis d’exprimer sa maîtrise et sa profonde connaissance du cante flamenco tout en s’imposant comme l’une de ses réformatrices les plus éclairées, Rocio Márquez revient avec un travail, non pas plus classique, mais plus dépouillé. Un chant, une guitare et quelques percussions sans artifices au service d’un rafraîchissement de mémoire, d’une remise en perspective contemporaine des perles, parfois oubliées, du passé musical espagnol. Ces chants, tirés de disques ou cassettes glanés sur l’historique marché aux puces de la rue Feria de Séville, qui tient son nom, El Jueves, des jeudis où il se tient, forment un collier non orthodoxe mais étincelant. En revisitant des œuvres de Bambino, Rocío Jurado, Concha Piquer, El Cabrero, Turronero, Pepe Marchena, José Menese ou Manuel Vallejo, Rocio Márquez réveille la mémoire de la culture chantée de son pays et lui redonne une noblesse ou une modernité par la sincérité délicate de son interprétation et un refus d’user d’effets factices et périssables.

Pour la première fois, elle assume seule la direction artistique de Visto en el Jueves. Pour lui donner la réplique, elle a choisi Juan Antonio Suárez "Canito", guitariste gitan, expert en rythmes et climats, connu pour ses accompagnements de danseurs virtuoses (Rocio Molina ou Belen Maya), comme pour son travail au théâtre. A leurs côtés, Agustín Diassera, fidèle compagnon, déploie avec justesse des vrombissements de cajon, la magie des tablas, les ponctuations vibrantes des palmas et d’autres sortilèges percussifs. Fandangos, malagueñas, bulerías, romances ou rumbas se succèdent sans conflit, en un souffle sensible et partagée. En conclusion, le trio s’élargit pour accueillir Kiko Veneno, chanteur populaire, témoin actif de la naissance du mythique et révolutionnaire Leyenda del Tiempo de Camarón de la Isla. Leurs deux voix se conjuguent sur les vers d’Andaluces de Jaen du poète antifranquiste Miguel Hernández, mis en musique par Paco Ibáñez. Venu du passé, ce chant qui contient la question « combien de siècles la servitude va-t-elle encore durer ? » participe pleinement à la prise de position esthétique, morale et mémorielle pertinente que développe ici Rocio Márquez sur notre époque. © Benjamin MiNiMuM/Qobuz