Un monde Fantastique (Extended Version)

Chronique

Deux grands maîtres du piano romantique, Robert Schumann et Franz Liszt, habitent les paysages variés de ce Monde fantastique. Pour son premier disque, paru chez Mirare, Jean-Baptiste Doulcet puise dans les œuvres des deux compositeurs et construit un programme exigeant où chaque pièce convoque un riche assemblage de matériaux littéraires et mythologiques. Ce syncrétisme à l'œuvre produit une imagerie forte que le jeune pianiste, lauréat en 2019 du concours Marguerite-Long, retranscrit de façon sidérante sous ses doigts alertes et précis.

La Paraphrase sur la Valse de Faust reprend un thème demeuré célèbre de l’opéra de Gounod, et pourrait presque être considérée comme une cinquième sœur cachée des quatre Méphisto Valses, elles-mêmes tirées de l’univers faustien. La sonate Après une lecture du Dante : Fantasia quasi sonata tirée du second volume des Années de pèlerinage est l’un des sommets pianistiques du catalogue de Liszt. Doulcet sublime la partition inspirée de la Divine Comédie de Dante, et nous offre une vision solaire d’un enfer illuminé par une exécution parfaite, dosant au millimètre les ambitus et plans sonores. Quant aux œuvres de Schumann, elles bénéficient du même traitement de choix : le Liederkreis Op.39 est un bijou de douceur, une merveilleuse caresse sur la joue. Les huit pièces du cycle Kreisleriana, Op.16 composé pour Clara Wieck, éternel amour de Schumann, sont, à l’instar d’autres pages de Schumann, un reflet des deux avatars du compositeur : Eusébius, rêveur mélancolique, et Florestan, fougueux et passionné. Doulcet passe d’une humeur à l’autre avec une facilité déconcertante, préférant miser sur la fluidité des transitions que sur l’accentuation des contrastes.

Trop souvent, la littérature pianistique romantique – et particulièrement dans le cas de compositeurs virtuoses comme Schumann, Liszt ou Chopin – a pâti de l’emportement d’interprètes cédant à la tentation de l’excès de volume et de rubato. Ici, Doulcet évite habilement ce piège et nous montre que c’est en maintenant une relative rigidité dans le tempo et les nuances que ces œuvres déploient un summum d’expressivité. Ses propres qualités de compositeur sont sans doute pour quelque chose dans cette lecture intelligente de la partition. En clôture d’album, on pourra d’ailleurs découvrir trois compositions de son cru : Endymion, en hommage à ses maîtres, ainsi que deux fascinantes improvisations qui témoignent d’une personnalité musicale et intellectuelle haute en couleur. Après avoir religieusement écouté ce disque, on en ressort avec la certitude que Jean-Baptiste Doulcet est un interprète à suivre de très près dans les années à venir. © Pierre Lamy/Qobuz