Henze: Being Beauteous - Kammermusik 1958

Chronique

C’est bien en français qu’est chanté le poème Being Beauteous (dont le titre est originalement en anglais) tiré des Illuminations de Rimbaud. Dans cette œuvre de 1963, écrit le compositeur Hans Werner Henze, « la poésie est traitée comme si chacune de ses pensées était une petite aria à elle seule. Ces arias sont encadrées par de courts quatuors de violoncelle entremêlés de harpe. Alors que chaque aria est d’une forme autonome, les sections instrumentales en quintette sont des variations l’une de l’autre. » Un ouvrage puissamment lyrique, comme tout ce que l’on connaît de Henze, cet âpre lyrisme expressionniste que l’on trouve chez un Berg, par exemple. On notera que Britten avait lui aussi emprunté Being Beauteous pour son propre cycle des Illuminations. Le programme de cet enregistrement réalisé par Peter Ruzicka et l’Orchestre de la NDR se poursuit avec Kammermusik 1958 – le titre est on ne peut plus clair : « Musique de chambre [composée en] 1958 » , une suite de douze lieder sur des textes de Hölderlin accompagnés d’un petit ensemble instrumental dans lequel la guitare tient une place prépondérante, comme une sorte de contrepoint à la partie vocale. Douze lieder, mais, direz-vous, ce cycle en comporte treize ? Oui, ami lecteur, car Henze rajouta un épilogue en 1963 qui s’inscrit bel et bien dans le cycle intitulé 1958. Fantaisie de compositeur. Notez que c’est Henze lui-même qui créa l’ouvrage à la baguette, avec ce même orchestre de la NDR – certes, il ne doit pas rester grand’monde depuis 1958… –, Peter Pears (l’œuvre était d’ailleurs dédicacée à Britten !) et Julian Bream. Loin de chercher à choquer l’auditeur ou à lui inculquer mordicus l’amour des séries intégrales, Henze joue avec les signes thématiques reconnaissables, la douce variation, de sorte qu’en termes de familiarité auditive, le langage général de l'œuvre n'est pas des plus dépaysants avec son lyrisme vocal soutenu, ses fréquentes consonances. Recherchant ainsi un son harmonieux dès le milieu des années 50, Henze pense toujours que la musique « doit être élégante et transparente » ; la dédicace à Britten, d’ailleurs, établit parfaitement la parenté de propos entre les deux musiciens.. © SM/Qobuz

« [...] dans une version empâtée par la substitution d'un orchestre à cordes aux solistes d'origine, Kammermusik 1958 a perdu la fragilité de sa texture instrumentale et une partie de la luminosité qui la distinguait. Restent l'Adagio final et les trois mouvements inchangés pour guitare seule. La belle voix de ténor lyrique de Peter Gijsbertsen se détache sur le tapis des cordes avec une tout autre véhémence que celle, plus diaphane, de Loren Driscoll jadis (HM). [...] Beaucoup plus convaincante, la cantate Being Beauteous (1964) pour soprano colorature, harpe et quatre violoncelles sur le texte des Illuminations de Rimbaud, a mieux traversé le temps. Plus condensée, plus unie de langage, elle entretient le charme mélodique et la séduction sonore. Le timbre lisse sans dureté et la voix, tantôt désincarnée, tantôt enjôleuse d’Anna Prohaska font merveille. Excellente, la prise de son ne laisse dans l’ombre aucun détail de l’orchestre finement conduit par Peter Ruzicka.» (Diapason, mai 2016 / Gérard Condé)