Pianistes virtuoses, quatuor iconoclaste, ensembles audacieux ou cheffe singulière : voici 10 artistes ou ensembles qui vont faire parler dans le monde du classique cette année.

Julius Asal

A tout juste 26 ans, le jeune pianiste allemand Julius Asal a déjà croisé la route de Gidon Kremer, Boris Berezovsky, Richard Goode, suivi l’enseignement d’András Schiff, jusqu’à se faire adouber par le regretté Menahem Pressler, lequel a dit de lui après l’avoir entendu : « L’instrument semblait lui révéler un secret. » C’est exactement le sentiment qui nous étreint à l’écoute des premiers titres sortis en avant-première de son disque à paraître en mai prochain chez... Deutsche Grammophon (rien que ça !) Après une première monographie Prokofiev parue en 2022 chez Ibs/Naxos qui avait reçu un succès d’estime, Asal a été annoncé à l’automne dernier comme nouvelle signature exclusive du fameux label à l’étiquette jaune et noire. Le futur album présente un programme sensible mêlant les œuvres du Scriabine des premières années – encore influencé par Chopin – et des pièces de Scarlatti fils. L’intersection des répertoires met en lumière le jeu fascinant d’Asal, qui combine parfaitement richesse des attaques et rondeur du timbre. Le tout nimbé dans une prise de son chaude et ample. Une merveille.

Héloïse Werner

Malgré un notoriété pour l’heure relativement limitée aux cercles de l’avant-garde, la soprano et compositrice franco-britannique Héloïse Werner n’est déjà plus vraiment une inconnue des mélomanes. En 2022, on a pu la découvrir au disque dans Phrases, un premier album choc signé chez Delphian Records qui provoqua une véritable déflagration dans le monde du contemporain et auprès de la presse spécialisée. Le disque fut élu parmi les 10 albums de l’année par le Sunday Times, et nommé aux Gramophone Awards. Werner y dévoilait un florilège d’œuvres virtuoses signées Georges Aperghis, Joséphine Stephenson, Nico Muhly, aux côtés de compositions de son propre cru. Attaques vives et féroces, dextérité vocale dans la négociation des ambitus, équilibre impeccable entre la pureté de ses aigus et de ronds et beaux médiums : tous les ingrédients sont réunis pour faire d’Héloïse Werner une des plus grandes voix mondiales de demain. Joli coup d’accélérateur à sa carrière : elle a récemment été nommée artiste associée du prestigieux Wigmore Hall de Londres pour les cinq saisons à venir. Et preuve de son potentiel énorme, les organisateurs du Festival Présences à la Maison de la Radio et de la Musique (Paris) l’intégraient il y a quelques semaines au concert d’ouverture du festival, où sa composition Close-ups fut présentée en programme commun avec la création française de Jacob’s Ladder, la plus récente œuvre du dieu vivant Steve Reich. Un trésor de théâtre musical dans lequel la voix de Werner s’adosse parfaitement à un jeu scénique hallucinant (on pense à d’immenses prédécesseures comme Cathy Berberian ou, plus récemment Barbara Hannigan). Son deuxième album Close-ups est annoncé pour juin 2024 chez Delphian. Une splendeur à réserver aux oreilles les plus averties !

Yunchan Lim

Après Hyeon-Jeong Lim ou Sunwook Kim, une nouvelle génération de pianistes sud-coréens émerge sur le devant de la scène. Parmi eux, Yunchan Lim fait figure d’extraterrestre. Plus jeune artiste de l’histoire à remporter le Concours international de piano Van Cliburn à seulement 18 ans, il se fait remarquer par la cheffe Marin Alsop qui retient de lui sa capacité à « réunir harmonieusement une musicalité profonde et une technique prodigieuse ». Après un premier récital imprimé pour le compte de Steinway & Sons comprenant sa performance des Etudes transcendantes de Liszt donnée au Concours Van Cliburn, Yunchan Lim s’apprête à revenir au printemps 2024, toujours dans un répertoire romantique, avec les 24 Etudes de Chopin, cette fois publiées par Decca. Le disque, très attendu, fait état de la virtuosité monstrueuse de l’interprète, doublée d’une sensibilité de jeu hors du commun. Un artiste à suivre de très près.

Quatuor Zahir

En matière de musique de chambre, lorsque l’on parle de quatuor, on pense immédiatement au quatuor à cordes, formation reine du genre. C’est faire l’impasse sur nombre d’autres nomenclatures possibles et excitantes. Un effort d’imagination et d’ouverture d’esprit s’impose à notre époque, et à l’heure où l’hybridation des styles se généralise, il est grand temps de redonner toute sa place à un instrument extrêmement noble mais historiquement mal aimé des orchestres et formations classiques : le saxophone. Un répertoire existe pourtant bel et bien pour cet instrument, et ce depuis son invention en 1846 par Adolphe Sax. Jean Baptiste Singelée, Jean Françaix, Alexandre Glazounov, Iannis Xenakis, Philip Glass ou John Cage : nombreux sont les compositeurs à avoir écrit pour un quatuor de saxophones. Du reste, le format se prête généralement bien aux transcriptions du fait de sa large palette de timbres entre le soprano, l’alto, le ténor et le baryton. Dans ce domaine, le Quatuor Zahir va marquer 2024 de son empreinte. Fondé en 2015, le quatuor a obtenu une reconnaissance internationale en remportant deux ans plus tard le premier prix du Concours international de musique de chambre d’Osaka. Un premier disque sobrement intitulé Zahir sortira en 2018 chez Aparté. Cette année, les membres du quatuor s’apprêtent à sortir un second bijou au titre évocateur : L’Heure bleue. Au programme, les musiques impressionnistes de Debussy, Ravel, Poulenc et Boulanger, aux côtés de création contemporaines de Graciane Finzi et Fabien Waksman. La plupart des transcriptions présentées sont signées du quatuor lui-même, dans une prise de son à couper le souffle. Une rareté qui, on l’espère, séduira le plus grand nombre.

Salomé Gasselin

Il y a un an, Salomé Gasselin s’était confiée à Qobuz le temps d’une interview vidéo en marge de la Folle Journée de Nantes. La jeune gambiste venait tout juste de faire paraître son premier récital chez Mirare, Récit, qui voyait sa viole – une Simon Bongars de 1653 – associée au sépulcral orgue de la basilique de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume. L’album nous avait laissés sans voix, et on ne s’est jamais vraiment remis de l’immense sensualité qui se dégage du dialogue entre les deux instruments. La musicienne avait tapé dans l’œil de toute la presse et s’était attiré les faveurs des meilleurs orchestres d’instruments spécialisés (Jupiter, Pygmalion, Les Ambassadeurs…). Après une année 2023 riche en dates de concerts et placée sous les honneurs, la voici en toute logique sacrée Révélation instrumentale aux Victoires de la musique classique. Annoncée en récital solo à Weimar au printemps 2024 et en duo avec le théorbiste Jonathan Zehnder, elle sera également à l’affiche d’Atys au théâtre des Champs-Elysées. Quant au disque, si on devine qu’il est encore tôt pour annoncer un deuxième opus, on la sait entre de bonnes mains chez Mirare – le producteur René Martin ayant depuis longtemps prouvé sa maîtrise absolue dans l’art de faire éclore les grands artistes de demain.

Ensemble Altera

On assiste depuis une petite décennie à une stimulante révolution copernicienne dans le secteur de la musique chorale : porosité des programmes entre profane et sacré, multiplication des commandes auprès des compositeurs actuels, professionnalisation des formations, nouveaux formats d’écriture… Si le Royaume-Uni apparaît comme une terre d’élection pour ce format, de très belles échappées nous parviennent d’autres contrées, notamment de l’autre côté de l’Atlantique. On pense à l’Ensemble Altera originaire de Rhode Island, dont l’aura du fondateur – le plébiscité contreténor Christopher Lowrey – a permis d’obtenir une date en janvier 2025 au Carnegie Hall de New York Un premier album, The Lamb’s Journey, doit voir le jour chez Alpha Classics ce printemps, combinant grand répertoire (Poulenc, Bruckner, Barber), musique ancienne (Scheidt, Gibbons) et œuvres de commande (Marsh, Garrepy). L’audace du geste ne serait rien sans la qualité d’exécution, et ce disque brosse le portrait d’un ensemble naissant sous le signe de la plus grande liberté de ton.

Trio Ernest

Dans la constellation des trios avec piano, Haydn occupe une place de choix. C’est donc vers lui que se sont naturellement tournés Clément Dami, Natasha Roque Alsina et Stanislas Gosset, les trois membres du Trio Ernest originaire de Genève et fondé en 2019. Ces dernières années passées à écumer les plus grandes scènes européennes leur ont permis de peaufiner un premier programme paru en janvier 2024 chez Aparté. Haydn y dialogue avec des transcriptions de Ravel ou Brahms, et, plus étonnant, la compositrice contemporaine belge Jacqueline Fontyn. On retient de ce premier opus l’interprétation sobre et sans afféterie du trio qui opte ici pour l’épure, en toute connivence avec une prise de son claire et franche.

Maarten Engeljes/PRJCT Amsterdam

Lourd défi que de s’attaquer au monument baroque qu’est le Stabat Mater de Jean-Baptiste Pergolèse. L’entreprise ne semble pourtant pas effrayer le contreténor néerlandais Maarten Engeltjes, fondateur de l’ensemble PRJCT Amsterdam. Après un premier programme Bach paru chez Sony Classical, il mêle sa voix de miel à celle de la soprano israélienne Shira Patchornik pour une rencontre au sommet chez Pentatone. Une impression discographique qui marche directement dans les traces des plus belles références qui ont précédé (René Jacobs, Christophe Rousset ou Philippe Pierlot). Le tempo allant et l’acuité des attaques dynamisent la partition pour restituer tout le caractère tragique de l’épisode biblique du Vendredi saint. Présentée en deuxième partie de programme, la cantate sacrée Nisi Dominus de Dominus est servie avec la même délectable impertinence. On ne peut que s’incliner devant la parfaite connexion entre soliste et corps instrumental. Le dynamisme d’Engeltjes, digne héritier d’Andreas Scholl, laisse présager le meilleur pour l’avenir du PRJCT Amsterdam.

Alpesh Chauhan/BBC Scottish Symphony

Vous aviez plébiscité notre Qobuzissime de juin 2023 décerné au chef Alpesh Chauhan pour son album Tchaikovsky paru chez Chandos. On se doute que vous adorerez tout autant le deuxième volet, toujours consacré au compositeur russe. En piochant dans les pans les moins représentés de l’œuvre de Tchaikovsky, Chauhan garde la même approche qui avait fait la réussite de son précédent opus. Ici, Snégourotchka côtoie le Capriccio italien, Hamlet converse avec le Fatum posthume… On retrouve l’énergie infatigable du chef britannique et son sens habile de la narration scénique - indispensable dans ce genre de musique à programme. Depuis Tchaikovsky Vol.1, on sent l’assise de Chauhan renforcée grâce à une saison remplie qui l’a porté sur de nombreuses scènes aux quatre coins de l’Europe. Ce second volet est la confirmation éclatante d’un chef en pleine ascension. Un essai largement transformé !

Elim Chan

Après avoir dirigé l’orchestre qui accompagnait Benjamin Grosvenor dans sa présentation des Concertos pour piano de Chopin chez Decca en 2020, la cheffe hongkongaise Elim Chan s’apprête à dévoiler son premier album aux commandes de l’Antwerp Symphony Orchestra, et signe ici un programme exigeant qui démontre toute sa maîtrise des écritures modernes. Aux côtés des deux premières Suites pour orchestre tirées de Roméo et Juliette de Prokofiev et du Daphnis et Chloé de Ravel, on trouvera en première impression mondiale une œuvre de la compositrice américaine Elizabeth Ogonek, All These Lighted Things, qui donne son titre à l’album. Elim Chan, qui a été à bonne école en suivant les masterclass de Bernard Haitink et de Philippe Herreweghe, a pu faire ses armes en tant que cheffe assistante au London Symphonic Orchestra en 2015-2016 ou encore en bénéficiant du Dudamel Fellowship du Philharmonique de Los Angeles. Exemple d’une salutaire féminisation des podiums, Chan trace une route singulière et éclectique, optant pour une sobriété scénique et refusant de choisir entre grand répertoire et œuvres de niche. Indice révélateur : ses collaborations naissantes avec les meilleurs solistes de notre temps Igor Levit, Benjamin Grosvenor ou Sol Gabetta.