The Anthology

Chronique

On a franchement envie de claquer une grosse bise aux instigateurs de cette Anthologie (Bertrand Dicale, Michel Mercier, et Jacques Leyris, fils de l’artiste) tant ce coffret en trois volumes remet, et de manière inespérée encore, Cheikh Raymond à sa place au royaume de la musique arabo-andalouse. En l’occurrence, la première.

Prénom franchouillard, de confession juive et chantant en arabe, Raymond Leyris est né à Constantine en 1912, et décédé au même endroit 49 ans plus tard, abattu d’une balle dans la tête au cours d’une promenade dans le souk. Cet attentat provoque le départ vers la métropole des juifs de la ville, dont le gendre du Cheikh, un certain Gaston Ghrenassia, qui fait en France carrière dans la chanson sous le nom d’Enrico Macias. La place prééminente de Leyris s’explique par plusieurs facteurs objectifs : sa connaissance aiguë du répertoire traditionnel, sa capacité à fédérer autour de lui les plus grands talents musicaux de l’époque, des interprétations habitées et définitives, et une extrême virtuosité à l’oud, suscitaient le respect des mélomanes et confrères musiciens.

La considération absolue dans laquelle il tenait l’ensemble des cultures et croyances de son pays en faisait le plus petit dénominateur commun de l’ensemble de ces communautés, et en particulier un pont jeté entre musulmans et juifs. C’est cela qu’exprime la musique de Cheikh Raymond, enregistrée en plages innombrables (le musicien souhaitait apporter le malouf dans chaque foyer), et dans des conditions folkloriques, généralement dans le salon de la famille Ghrenassia, autour de deux simples micros. Cela, et un hédonisme de chaque instant, qui implique que l’on y chante la beauté fragile des roses, et systématiquement toutes les femmes, de peur de laisser passer sans réagir l’amour de sa vie.

Le premier volume de ce coffret propose des pièces enregistrées durant les années 50, en transferts de séances jusqu’alors uniquement disponibles en 78 tours. Les deux suivants tentent la compilations de thèmes captés dans la seconde partie de cette même décennie, quant à eux commercialisés dans un farandole de 33 tours. Mais qu’il s’y montre chantre de l’amour courtois, ou friand de musiques pour bar mitzvah, amateur de la douceur de vivre de son pays ou d’une grande piété, Cheikh Raymond s’impose ici comme l’un des ferments évidents d’une world music qui, un demi-siècle plus tard, tentera d’apparier toutes les expressions humaines.

Au réveil, le rêve s’est donc transformé en cauchemar. Mais cette anthologie, première édition en cd de chansons jusqu’alors confinées à la monomanie de collectionneurs insatiables, fait de nouveau souffler une brise sensuelle, légère et insouciante, et un bonheur modeste et humaniste. On aura la faiblesse de considérer cela, non pas comme une survivance poussiéreuse de l’histoire, mais bien comme un jalon pour l’avenir.

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