Rummadoú (Générations)

Chronique

Avec un brin de fierté (on les comprend), Tri Yann revendique ici et maintenant, leurs quarante années d’existence, cas unique non seulement dans l’histoire de la musique bretonne, mais également dans le panorama entier de la chanson hexagonale (quoique, Les Compagnons de la Chanson…).

Rummadoú (Générations), vingtième album de Tri Yann, célèbre donc ce jubilé en incluant, comme aiment à le faire depuis belle lurette les trois garçons de Nantes, les histoires (des gens) dans l’Histoire. Nous sommes en 463 : six jeunes Écossais, animés d’intentions belliqueuses, rallient la Cornouailles, puis la Bretagne. L’un d’eux fait alors souche (plus poétiquement, cela signifie qu’il tombe amoureux), et, au fil des siècles, peut se développer une épopée qui conduira une famille bretonne de batailles face aux Vikings en croisade, d’embarquement vers l’océan de l’inconnu en charniers des tranchées de la Somme, jusqu’à des évocations en mode désolé, en compagnie de Marion du Faouêt, renommée bandit de grand chemin.

Épopée en forme de chronique chronologique par ailleurs, car, encore une fois, le groupe s’attache aux bonheurs et désespoirs des gens de peu plutôt qu’à la ceinture dorée des éminences de ces différentes époques. Musicalement, les trois Jean (et leurs cinq autres compères, dont le batteur Gérard Goron, par ailleurs réalisateur du projet) balaient d’assez exacte manière les différents registres qui ont fait leur réputation : en breton ou français, proches jusqu’à l’intimité de leurs racines folkloriques ou plus audacieux (certaines guitares électriques, et autres massives sections rythmiques en surprendront plus d’un), mais conservant cette inimitable attaque du chant (en solo ou en chœur) qui reste leur marque de fabrique, et sur lequel le temps ne semble avoir aucune prise.

Simon Nicol, guitariste et fondateur du groupe britannique Fairport Convention, est invité à tenir le chant lead dans « The Eyes of My Bonnie Mary », preuve que les mers ne séparent pas ceux qui s’aiment. Et, in fine, nul autre que Tri Yann ne peut se permettre d’interpréter « Pour faire de bonnes crespes », ritournelle polyphonique, qui débute comme une authentique recette de cuisine, et s’achève en friponnerie. Seule ombre au tableau, une relecture en plage cachée et en format technoïde, des très riches heures du combo, de « Dans les prisons de Nantes » à « La Jument de Michao » : c’est lorsqu’il veut faire jeune qu’il sonne le plus vieux, alors que sa fougue et sa pertinence, elles, restent éternelles.

Air du large et dureté de l’existence du peuple, fierté d’appartenance et rage de vivre, métiers d’hier et passions d’aujourd’hui, pop, rock, et musique médiévale, on trouve de tout chez Rummadoú, et les désormais sexagénaires Tri Yann font encore une fois souffler par ici le vent de chez eux, un vent d’aventure, et de liberté.

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