Chaque mois, la rédaction de Qobuz repère pour vous les disques à ne pas manquer, dans tous les genres.

CHANSON FRANÇAISE (Nicolas Magenham)

La chanson intime est à l’honneur avec l’album d’Antoine Sahler, Le Hasard. Connu pour être le complice de François Morel dans ses projets musicaux et scéniques, Sahler présente des chansons sensibles et épurées, où il s’accompagne de pianos envoûtants. Quant aux textes, ils parlent des petites choses du quotidien et de la nécessité de se fier davantage au hasard qu’aux algorithmes. Le même jour sortira le quatrième album de KCIDY, Quelque chose de bien. Il évoque la quête d’un bonheur moins éphémère que substantiel. Fan de synthpop mais aussi de musique baroque, elle a injecté toutes ces influences dans cet opus réjouissant. Le 26 janvier, Le Collage de France publiera Langage ment. C’est Rémi Antoni (du groupe Orouni) qui est derrière ce projet un peu fou, dont le but est de rendre hommage à l’esprit populaire et universaliste du Collège de France. A la fois poétiques et politiques, ses chansons se caractérisent par une orchestration chiadée et des mélodies ravissantes.

Trois autres sorties importantes sont à noter, à commencer par le retour de Lescop avec Rêve parti. Le chanteur y évoque l’amour et la renaissance intérieure, dans un esprit new wave totalement réinventé par ses soins. Dans cette épopée lumineuse et utopique, on croisera Izïa, Halo Maud ou Laura Cahen. Enfin, on aura le plaisir d’entendre Siècle, le premier album de Distractions (trio parisien qui excelle dans la chanson pop), ainsi que Chordes, qui comprend des versions instrumentales guitare solo des chansons de Dick Annegarn, interprétées par lui-même.

MUSIQUES ÉLECTRONIQUES (Smaël Bouaici)

C’est le producteur français Fakear qui a dégainé le premier en 2024 avec son nouvel album Hypertalisman sur lequel il retourne à ses racines, entre beats feutrés, chopped vocals et des synthés qui donnent la chair de poule. En Angleterre, le label Brownswood mené par Gilles Peterson sort un EP du multi-instrumentiste ghanéen Delasi, Audacity of Free Thought, un disque qui porte bien son nom aux confins du jazz, de la soul, du hip-hop et de la musique électronique, comme sur le magnifique Amplifier avec le saxophoniste Nii Noi Nortey. A écouter aussi, le nouvel album LIBEROSIS du prolifique Canblaster, ancien du Club Cheval qui avait déjà marqué la fin d’année 2023 avec sa mixtape GENESIS. Un disque plutôt contemplatif en trois chapitres dont l’ACT 1 est sorti en janvier, mixé par Steve Dub, l’ingénieur du son des Chemical Brothers. Enfin, le dernier album de Lou Reed, Hudson River Wind Meditations, a été réédité en ce mois de janvier par le label Light in the Attic. L’occasion de redécouvrir un album d’ambient en forme de voyage spirituel, loin des tumultueuses années rock du leader du Velvet Underground.

CLASSIQUE (Pierre Lamy)

L’année 2024 s’ouvre avec une élégante impression des Béatitudes, oratorio quelque peu oublié de César Franck. A la baguette, Gergely Madaras, nouveau directeur du Philharmonique Royal de Liège, clôture en beauté deux années consacrées au bicentenaire du compositeur. Le 12, la grande prêtresse du piano concertant Elisabeth Leonskaja nous revient chez son label historique Warner Classics pour une sélection de concertos de Schumann et Grieg – un programme croisé autour du romantisme et post-romantisme servi par le jeu « à l’ancienne » de cette immense pianiste. Le 19, on retrouve chez Sony la violoncelliste Sol Gabetta, cette fois-ci en duo avec Bertrand Chamayou pour un double album au programme riche et varié, entrecroisant les Variations concertantes de Mendelssohn avec d’autres regards plus contemporains sur les Romances sans paroles, confiés aux compositeurs Heinz Holliger, Wolfgang Rihm ou Francisco Coll. Le 26 enfin, il ne faudra pas manquer chez Bru Zane l’opéra oublié de Louise Bertin, véritable pépite romantique servie ici par les musiciens virtuoses des Talens Lyriques et du Flemish Radio Choir.

ROCK & ALTERNATIF (Charlotte Saintoin)

Sans jouer aux astrologues de bistrot, avec ce mois de janvier, on aimerait clairement dire que l’année 2024 se place sous le signe de l’abondance. Dès le 5, le quatuor irlandais Sprints décrochait notre distinction Qobuzissime pour son premier disque Letter to Self, joli condensé de garage-punk aux textes engagés. La semaine suivante, Bill Ryder-Jones lâchait après cinq d’absence son chef-d’œuvre de pop orchestrale Iechyd da. Côté hexagonal – parce que tout ne se passe pas outre-Manche –, Slift faisait le 19 son entrée chez Sub Pop avec Ilion. Un troisième disque de garage/psyché bien taré comme on les aime. Le 26, c’est la grosse avalanche : The Smile rempile avec les sublimes arrangements de Wall of Eyes, déjà teasé par trois singles depuis l’été, Ty Segall ajoute l’excellent Three Bells à sa prolixe discographie et les Américains Future Islands continuent de nous faire danser avec le synthétique People Who Aren’t There Anymore. A la même date, notre cœur fond pour le bijou folk en trois actes The Pilgrim, Their God and the King of My Decrepit Mountain, de l’encore confidentiel quintet londonien Tapir!. Une odyssée lumineuse traversée par les chœurs et les cordes des plus touchantes, que l’on recommande bien chaudement.

Début d’année luxuriant côté jazz, avec en point d’orgue de ce mois de janvier, dans des genres diamétralement opposés : le minimalisme virtuose de la chanteuse coréenne Youn Sun Nah en duo avec le claviériste Jon Cowherd (Elles) ; le nouveau disque de la guitariste américaine d’avant-garde Mary Halvorson à la tête de son merveilleux sextet Amaryllis (Cloudward), le premier disque épique et fusionnant du jeune groupe français Bada-Bada (Portraits) ; et le choc générationnel de deux titans du piano d’outre-Rhin, Michael Wollny & Joachim Kühn (Duo). Deux productions ECM retiendront également notre attention : le deuxième disque d’une grande délicatesse du saxophoniste français Matthieu Bordenave (The Blue Land) et le voyage onirique et sensuel du trompettiste norvégien Arve Henriksen en duo avec Harmen Fraanje (Touch of Time). Côté jazz moderne US, le pianiste Ethan Iverson signera en trio(s) son deuxième disque pour le label Blue note (Technically Acceptable) et la saxophoniste Amanda Gardier son troisième disque en leader autour de l’univers du cinéaste Wes Anderson (Auteur: Music Inspired by the Films of Wes Anderson). Le label ACT, toujours très actif, présentera le nouvel opus résolument groovy du jeune saxophoniste alto Jakob Manz, star de la nouvelle vague allemande (Answer) et dans un registre plus chambriste, la rencontre au sommet de deux grandes figures du jazz polonais, le violoniste Adam Bałdych et le pianiste Leszek Możdżer (Passacaglia). Pour finir en beauté ce panorama en forme de tour du monde, le guitariste brésilien Fabiano do Nascimento et le saxophoniste américain Sam Gendel proposeront dans The Room une relecture inspirée de morceaux folkloriques issus de diverses régions d’Amérique du Sud. L’universalité du jazz dans tous ses éclats !

Sous le nom improbable de Dieuf Dieul de Thiès se cache un groupe légendaire de la musique sénégalaise, en activité depuis le début des années 80. Des survivants de l’époque où musiques africaines, cubaines et nord-américaines (funk et soul psyché) fusionnaient sur les pistes de danse. La formation a évolué, cet enregistrement est leur premier véritable album, et il vaut le coup d’y réchauffer ses oreilles.

Autre continent, autre genre : du Suriname, petit pays de la région amazonienne, le duo fraternel Saramaccan Sounds chante en s’accompagnant à la guitare acoustique des chansons douces et mélancoliques, qui raviront les amateurs de folk-blues et de musiques traditionnelles obscures. Un disque rare qui plairait sans doute au franco-américain Cory Seznec, lui-même musicologue et auteur de chansons qui croisent les traditions folk nord-américaines et celles d’autres continents. Sur son nouvel album Deep of Time, avec sa guitare aux arpèges libérés, Cory Seznec aère le folk et le fait voyager au-dessus des frontières de genre, à la façon de Piers Faccini ou Vincent Ségal.

METAL (Chief Brody)

L’année métallique démarre de la plus éclectique des manières, les artistes y allant de leurs nouveautés destinées à décrasser les esgourdes encore engourdies par les derniers excès des fêtes. Les adeptes de heavy metal au sens classique du terme vont se réjouir du retour de Saxon avec Hell, Fire And Damnation, deux ans après son Carpe Diem qui a remporté tous les suffrages. Toujours vintage mais plus hard rock, l’association de malfaiteurs Russell / Guns sort son premier album Medusa, rencontre entre la voix de Great White et la guitare de L.A Guns. Les nostalgiques du metal dansant au contours néo de Static-X se pencheront de manière curieuse et intriguée sur le Project Regeneration, Vol. 2, second volume sorti des tiroirs et composé de chansons enregistrées avec feu son créateur-chanteur, Wayne Static et le line-up d’origine du groupe. Côté progressif, les Australiens de Caligula’s Horse, au sommet de leur art, reviennent avec Charcoal Grace, preuve de leur parfaite maîtrise d’un registre qu’ils savent rendre accessible grâce à un vrai sens de la mélodie. Enfin, coup de coeur oblige après un premier album flamboyant, ne passez pas à côté du prometteur Fission de Dead Poet Society, sorte de mix savamment dosé entre rock alternatif, riffs ultra lourds et accents pop toujours à l’équilibre.

RAP (Brice Miclet)

Nouvelle année, nouvelle pluie de sorties dans le rap américain d’abord, avec l’album à venir de Kevin Gates, blockbuster mélodique et tous pecs dehors, intitulé The Ceremony. Un disque très singulier qui tranche avec ses deux premiers, mais qui s’impose sans doute possible comme son plus introspectif. 21 Savage, lui, sort le cynique American Dream, toujours hanté par le passé de son auteur qui, au milieu du succès, n’a de cesse de chercher la lumière. Certainement l’un de ses meilleurs projets à ce jour. Kid Cudi fait quant à lui honneur à sa réputation d’artiste inclassable avec le très réussi Insano, sur lequel plane l’influence de Kanye West, certes, mais qui en dit aussi très long sur les questionnements existentiels du natif de Cleveland, moins optimiste et plus empreint de doutes qu’à l’accoutumée.

En France et en francophonie, c’est la rappeuse belge Shay qui s’impose sur ce mois de janvier avec l’album Pourvu qu’il pleuve. D’une affolante insolence, troquant souvent ses aptitudes de rappeuses pour s’émanciper dans une pop rythmée par les influences afro-caribéennes épurées, elle fait honneur à sa stature, musicalement et esthétiquement. Il y a pourtant de la concurrence : Jul avec l’album Décennie, Demi Portion avec Poids Plume, Kofs avec l’excellent Après Minuit… Le rap français est parsemé de projets valant le détour ce mois-ci. S’il fallait choisir, on garderait Du peu que j’ai eu, du mieux que j’ai pu de Lesram, album d’une sincérité déroutante, où la voix du rappeur prime avant toute chose, fait ressortir le texte devant le reste, les maux et les questionnements saisissants. Mais également POURquoi!! de 8ruki, l’un des rappeurs les plus talentueux de sa génération, qui enchaîne avec une mixtape de haut niveau et fédératrice.

REGGAE (Smaël Bouaici)

Côté reggae, Jael, membre du label de Biga Ranx 1988 Records, sort son nouvel album Moonlight. Le producteur montpelliérain s’est entouré d’une brochette d’invités, Biga Ranx, Arcade Love, Sumac Dub ou encore le rappeur togolais Papou, qui posent sur son dub électronique tout en vapeurs et en mélodies éthérées. Ensuite, un tribute album rend hommage au grand chanteur de roots jamaïcain Yabby You, décédé en 2010, avec ses plus beaux titres repris par des artistes comme Macka B, Carlton Livingston, ou David Hinds de Steel Pulse. L’indispensable crew de producteurs français Irie Ites a, lui, sorti comme chaque fin d’année son album Cream of the Crop regroupant ses meilleures collaborations avec des artistes comme Triston Palma ou General Levy, à cheval entre nu roots et dancehall à l’ancienne. Fin décembre, la star du modern dancehall Popcaan a sorti son second album en douze mois, Best Mood, à cheval entre dancehall, afrobeats et hip-hop. Enfin, Trojan Records ressuscite deux albums de Lloyd Charmers, vedette des 60′s jamaïcaines avec ses groupes ska/reggae The Charmers et The Uniques : Reggae Is Tight et Reggae Charm, avec des versions instrumentales de génie sur lesquels il fait montre de son talent au clavier.

SOUL/R&B (Brice Miclet)

L’événement R&B de ce début d’année 2024 est, si tant est qu’on puisse le réduire à cette esthétique, l’album Orquídeas de Kali Uchis, qui emprunte en fait bien plus à la pop sud-américaine et aux imageries Movida espagnole qu’aux dérivés de la soul music. La Colombo-Américaine de 29 ans livre un vrai disque d’envergure, moderne, pas racoleur pour un sou, et qui contribue à sa manière à définir la pop du futur. Dans un style beaucoup plus classique, l’album Keep It To Yourself du groupe The Tibbs s’inscrit dans un rhythm & blues hérité des années 1960, parfois un peu cliché, mais maniant diablement bien les codes du genre et qui a trouvé avec la chanteuse Elsa Bekman une frontwoman bluffante.

Il y a aussi cette compilation intitulée Crate Diggers Supreme : Lost Vinyl Oddities & Break Beats 1965-1985, Vol.1, qui, comme son nom l’indique, se concentre sur 20 années de soul, funk et dérivés, dans la grande tradition des disques destinés à être samplés par des artistes hip-hop. Samplées ou non, elles regorgent presque toujours de pépites. Ici, ce sont les titres Nadia de Frederic Talgorn ou Thief of Baghdad de Lee Erwin (que les amateurs du rappeur Nas n’auront pas de mal à reconnaître) qui sortent du lot, mais cette courte sélection de huit titres ne contient aucun faux pas. Pour finir, Keyon Harrold, chanteur et trompettiste très orienté jazz, s’aventure sur des formats variés dont la soul et le R&B sur son nouvel album Foreverland pétri d’émotions et d’envies de subtilités, conviant pêle-mêle Common, Laura Mvula, Robert Glasper ou Chris Dave.

BLUES/COUNTRY/FOLK (Stéphane Deschamps)

La bonne nouvelle de ce début d’année, c’est le retour de l’Américain Ramsay Midwood. On écoute encore Shoot Out at the OK Chinese Restaurant, son premier album sorti en 2000, parfaite synthèse d’americana bluesy et boogie, façon JJ Cale du bayou. Depuis, Ramsay Midwood s’est fait plus discret, traînant principalement ses boots du côté d’Austin et du bar à musique Sam’s Town Point, son quartier général. Il y joue souvent, et c’est là qu’il a enregistré son live Manchaca Eyeball, qu’on écoutera encore dans vingt ans.

Tout aussi authentique et feelgood, le Virginien Justin Golden rafraîchit le folk-blues acoustique sur son premier album Golden Country, Volume 1. Joué en groupe et inspiré par le blues du Piedmont et le bluegrass, c’est le genre de vieux pot inoxydable dans lesquels on fait les meilleures soupes. Et comme ce disque est sous-titré « Volume 1 », on peut déjà se réjouir en attendant le second. Toujours au rayon blues mais pour se réveiller et s’énerver un peu, on peut compter sur The Hard Line, nouvel album de l’harmoniciste-chanteur Chris O’Leary. Dans la pure tradition du Chicago blues électrique, plein d’émotions et de fourmis dans les jambes.