Chaque mois, la rédaction de Qobuz repère pour vous les disques à ne pas manquer, dans tous les genres.

WORLD (Stéphane Deschamps)

Ce mois-ci, en provenance du continent africain, c’est le grand souk : beaucoup d’albums dans des genres différents, et qui adorent les mélanger (les genres) et brouiller les pistes. Les Amazones d’Afrique, supergroupe exclusivement féminin, est de retour avec un Musow Danse intense, aussi dansant que tranchant. La production électro de Jacknife Lee colle parfaitement à l’énergie de ces voix stars. Tout aussi moderne mais plus planant, l’album La Vie de star de la Marocaine de France Hanaa Ouassim est un coup de cœur. Proche (ou à rapprocher) d’électro(ns) libres comme Léonie Pernet, Charlotte Adigéry ou Flavien Berger, Hanna Ouassim numérise ses souvenirs d’Orient sur d’émouvantes chansons. Plus traditionnelle sur la forme, la Sahraouie Aziza Brahim laisse encore éclore sa mélancolie rêveuse sur le doux album Mawja, parfaite bande-son de l’envie voir ailleurs si l’herbe est plus verte et le sable plus blond. Sur le continent africain encore, mais plus encore au paradis, la cultissime Emahoy Tsege Mariam Gebru, religieuse et pianiste éthiopienne, est révélée sous un nouveau jour avec Souvenirs, premier album où on l’entend chanter. A réserver aux fans, et à tous ceux qui vont le devenir.

Ailleurs dans le monde : la Cubaine Daymé Arocena mâtine son jazz latino de pop sur Alkemi, et c’est plutôt de salut public pour tenir en attendant la saison des terrasses, des cocktails et des coups de soleil. A l’opposé, géographique et musical, on bloquera durablement sur le premier album de Yirina, duo australien (tendance aborigène) qui fait rimer ethno avec électro.

CHANSON FRANÇAISE (Nicolas Magenham)

Après son premier album À nous, nommé aux Victoires de la Musique en 2022, Noé Preszow revient avec [prèchof], un disque sensible dans la grande tradition de la chanson française, entre chansons engagées et réflexions plus intimes. Toujours en février sortira Hélicoptère, le nouvel album de Fefe, ex-leader du Saïan Supa Crew. Rap old school et musique soul sont au programme de cet opus qui comprendra des duos avec Akhenaton, Son Little, Cookin’ On 3 Burners et Luiza. Dans un autre style, Cali revisitera en duos les 13 titres de son premier album, L’Amour parfait, sorti il y a tout juste vingt ans. On entendra Francis Cabrel sur C’est quand le bonheur ?, tandis que Stephan Eicher fera une apparition dans Pensons à l’avenir, le tout accompagné par le pianiste Steve Nieve. Le 1er mars sortira le 6e album d’Olivia Ruiz, La Réplique, dans lequel elle mêle le français et l’espagnol, sur des musiques qui marient électronique et rythmes latins. La jeune artiste Zélie publiera quant à elle Un Million de petits chocs, un premier album aux allures de journal intime mais aussi plein de rage sur certains sujets de société comme la transphobie ou le féminisme.

CLASSIQUE (Pierre Lamy)

Le piano est à l’honneur en ce mois de février, avec quatre sorties qui brillent par leur diversité autant que par leur qualité de ton. On commence avec Marc-André Hamelin qui vient de faire paraître chez Hyperion un florilège de ses propres compositions. La jeune génération s’invite elle aussi à table, avec les remarquables Tiffany Poon et Fujita, qui proposent deux récitals intimistes et lumineux : la première chez PentaTone avec un très beau portrait de Schumann, tandis que le second se distingue dans de sobres Bach Transcriptions, chez Sony Classical. En fin de mois, on applaudira des deux mains l’un des albums les plus attendus de cette année, avec l’infatigable duo formé par les sœurs Labèque. Au programme : les suites pour piano tirées des opéras de la Cocteau Trilogy de Philip Glass, véritable pépite du genre. On ne passera pas non plus à côté de l’ambitieuse intégrale des Symphonies de Beethoven rassemblées en un coffret de cinq disques par Gianandrea Noseda à la tête du National Symphony Orchestra de Washington.

Les amateurs de mélodies et lieder n’ont certainement pas pu passer à côté du magnifique Laws of Solitude de la soprano lituanienne Asmik Grigorian, qui dévoile les Four Last Songs de Strauss, proposées ici en diptyque, dans leur version avec orchestre et en réduction pour piano/voix. Pour les âmes aventurières friandes d’écritures contemporaines, il faudra ab-so-lu-ment s’arrêter sur les Midnight Sun Variations et autres œuvres de la compositrice finlandaise Outi Tarkiainen, brillamment interprétées ici par Nicholas Collon et le Finnish Radio Symphony Orchestra pour le label Ondine. Enfin, place au recueillement avec l’incandescent Solo, récital grave et solitaire de Sigiswald Kuijken qui, ses 80 bougies à peine soufflées, démontre une fois de plus l’étendue de son talent sur instruments anciens (clavicorde, viole, violon et violoncelle baroques). A couper le souffle.

JAZZ (Stéphane Ollivier)

C’est un merveilleux échantillon des multiples façons qu’ont les musiciens de la nouvelle génération de s’emparer de la canonique formule du trio piano/basse/batterie que nous réserve cette sélection jazz du mois. De l’approche formaliste et virtuose de Vijay Iyer (Compassion) aux esquisses lyriques et épurées de la norvégienne Liv Andrea Hauge en passant par les tableaux soniques atmosphériques du jeune trio français Rouge (Vermeilles) et les subtiles dérives contrôlées du groupe suisse Divr (Is This Water) du côté de la musique électronique et répétitive, c’est l’éternelle capacité qu’a le jazz à se renouveler qui est une fois de plus mise en évidence.

Dans le même ordre d’idée mais dans un cadre plus orchestral, le batteur et compositeur Ches Smith, de toutes les aventures de la scène jazz US d’avant-garde, nous livre à la tête d’un mini-big band délicieusement hybride un véritable petit chef-d’œuvre d’inventivité formelle (Laugh Ash), tandis qu’à l’autre extrémité du spectre esthétique, le jeune groupe français Daïda confirme les ambitions réformistes de son néo-jazz-fusion (La Traversée).

Autres prototypes parfaitement insituables repoussant les frontières du genre, la rencontre entre le producteur et sorcier des machines Carlos Niño et le saxophoniste vétéran du free-jazz libertaire Idris Ackamoor (Free, Dancing…) et la très belle ballade sonique aux confins du post-jazz, du rock et de la musique électronique de Sean Ono Lennon (Asterisms). Dans un registre plus traditionnel mais tout aussi inspiré, le nouveau disque du vibraphoniste Joel Ross confirme sa place prédominante au sein de la nouvelle team Blue Note, et le Black Art Jazz Collective décline les séductions d’un jazz moderne post-bop de belle facture. Enfin, on jettera une oreille curieuse sur l’incursion du côté du « swing » de la rock star britannique Rod Stewart accompagné par l’Orchestre de Rhythm and Blues de Jools Holland, dans un registre rétro assumé qui peut avoir son charme…

ROCK/METAL (Chief Brody)

Un mois de février tout en contrastes s’offre à vous grâce à des artistes tous plus créatifs les uns que les autres. L’un des plus brillants reste sans nul Isahn, dont le concept-album qui porte sobrement son nom, Isahn, est présenté en deux versions, metal et symphonique. Les férus de death metal barré et brutal savoureront le retour au premier plan de Job For A Cowboy avec Moon Healer, dix ans après son dernier album studio. Plus mélodique et toujours à mi-chemin entre metalcore, thrash et death, Darkest Hour revient au premier plan grâce à son Perpetual Terminal. Les amateurs de hard rock solide et de mélodies accrocheuses se tourneront vers le 10,000 Volts d’Ace Frehley, album sur lequel l’ancien guitariste de Kiss prouve combien il maîtrise l’art du riff et la science de la mélodie accrocheuse. Autre guitariste tout aussi rock et déterminé à prouver qu’il existe une vie après le groupe qui l’a amené au sommet, Mick Mars s’apprête à frapper un grand coup avec The Other Side of Mars pendant que Mötley Crüe, formation l’ayant remercié, se fait toujours attendre dans les bacs.

MUSIQUES ÉLECTRONIQUES (Smaël Bouaici)

Deux albums de janvier à rattraper pour ce mois de février, avec l’excellent Rose Fluo de la productrice césarisée Irène Drésel, dont vous retrouverez une interview bientôt dans le magazine Qobuz, et l’acte 1 de LIBEROSIS, nouvel album de Canblaster, ex du quatuor électronique nordiste Club Cheval, qui se déclinera en trois volets. En France toujours, Maelstrom et Louisahhh font de nouveau équipe après leur premier album Sustained Resistance en 2023, cette fois sur May the Rage Burn a Path for Joy, un disque de musique de club intense et indus’ qui s’ouvre sur le contagieux I’m a Whip en featuring avec Brodinski. A noter aussi les 20 ans du duo montréalais Chromeo, qui fête ça avec un nouvel album, Adult Contemporary, sur lequel ils déroulent la formule nu disco qui a fait leur succès. Enfin, ceux qui rêvent de chaleur au cœur de l’hiver se jetteront sur la nouvelle sortie de Flavien Berger, qui prépare déjà l’été avec contrebande 02, une mixtape tout en chill out.

ROCK & ALTERNATIF (Charlotte Saintoin)

Au mois de février, il ne fait pas si moche. Car certaines sorties donnent un charme certain à ses paysages gris et désertiques habituels. A Life Long, cinquième album de la compositrice américaine minimaliste Kali Malone, donne forme à des plaines abstraites où le temps semble s’écouler à l’infini. Plus connue pour ses travaux sur l’orgue, celle qui vit et travaille désormais à Stockholm cherche ici d’autres textures plus chorales et cuivrées. Toujours au Nord, Sarah Assbring alias El Perro Del Mar offre un cinquième album gothique à la beauté gelée. Derrière sa pochette flippante, Big Anonymous répond aux réflexions sur la mort de la chanteuse suédoise, qui prend ici un chemin électronique à rebours de son très organique dernier disque.

Un autre groupe, plus attendu au tournant, médite sur la préciosité de la vie : MGMT. Avec Loss of Life, prévu au 24 et dont quatre singles ont déjà égrenés, le tandem américain verse dans une pop plus sobre et réflexive, délaissant la dark pop de Little Dark Age pour la britpop et le folk des années 70. D’autres préfèrent célébrer la fin du monde avec grandiloquence, comme The Last Dinner Party, une bande 100 % féminine dont le premier disque, épique et glam rock, leur promet un avenir radieux. Certains n’y sont pas encore et préfèrent le chaud comme Helado Negro et la douceur infinie de Phasor où ressortent leurs guitares comme Duck Ltd. ou Real Estate.

RAP (Brice Miclet)

Les pontes du rap français prouvent que le jeunisme du secteur n’est pas aussi prégnant qu’on le croit. Rim’K par exemple, publie LIFAT MAT, un quatre titres où sa voix se fait plus grave que jamais, prouvant que parmi les old-timers, il est l’un de ceux qui parviennent le mieux à s’adapter à son époque. En témoigne le titre d’introduction, Carbone, entre virulence, égo trip et fast life, musicalement tout à fait ancré dans l’ère actuelle. Changement de paradigme total avec Dany Dan, qui publie Pièces montées en collaboration avec le beatmaker parisien Kyo Itachi. D’un côté, un rappeur aux 35 années de carrière qui s’épanouit dans ses attributs d’antan, de l’autre, un compositeur faisant brillamment le pont entre le passé et le présent, samplant avec une habileté et une complexité rares, sublimant la voix intacte de son compère. Savoureux. IAM sort HHHistory après « trente ans sur le champ de bataille à massacrer du préjugé », dénonçant frontalement le rap d’aujourd’hui, comme le groupe et notamment Akhenaton aiment le faire depuis une dizaine d’années. Ils peuvent se le permettre. Enfin, Lala &ce sort le ténébreux Solstice, deuxième album officiel largement produit par Phazz, qui fait notamment parler la poudre sur l’excellent titre Drogue d’hiver et hanté d’une voix tentatrice en guise de fil rouge.

De l’autre côté de l’Atlantique, deux sorties valent indubitablement le détour. Le nouvel album de Soulja Boy SWAG 6 d’abord, très belle surprise pour celui qui a marqué toute une génération de beatmakers en 2007 avec Crank That. S’il a eu par le passé du mal à se renouveler, il se remet ici dans le droit chemin : celui des productions sombres et sobres, revenant à ses premières amours avec la virulence et la malice qu’on lui connaît. Vers la Caroline du Nord, la rappeuse TiaCorine publie un excellent EP titré Almost There, sur lequel elle invite notamment Key Glock pour le duo ravageur Blick, mais aussi Zelooperz ou Luh Tyler. Un projet aux esthétiques coincées entre Memphis et la Louisiane, qui revêt des accents électroniques futuristes et sacrément bien vus. Enfin, le prince du grime anglais Dizzee Rascal montre qu’il n’a rien perdu de sa superbe avec Don’t Take It Personal.

REGGAE (Smaël Bouaici)

Côté reggae, la grosse sortie du mois, c’est Tancarville, le nouvel album de Blundetto, artiste français chantre d’un reggae chill et downtempo ; un disque sur lequel on retrouve notamment au micro Pupa Jim de Stand High Patrol et Biga Ranx. Tiken Jah Fakoly, de son côté, a sorti un album tout en acoustique sobrement intitulé Acoustic, sur lequel on retrouve certaines de ses chansons les plus connues dans des versions unplugged très plaisantes. Le mois de février avait débuté avec la sortie du dernier album enregistré par Lee Perry avec le producteur anglais Danny Boyle, King Perry, sur lequel on retrouve aussi Tricky aux manettes. Pour les adeptes de dancehall Jamaïcain, Teejay, l’une des vedettes d’un genre qui tend de plus en plus vers le hip-hop, sort son album I AM CHIPPY, qui contient notamment son tube de l’an passé Drift. Et puis les nostalgiques de Bob Marley auront de quoi se nourrir l’esprit avec la BO du biopic One Love, sorti en salles ce mois-ci.

SOUL/R&B (Brice Miclet)

Pour le R&B au mois de février, la lumière était sur Usher, star du genre, qui a assuré le show de la mi-temps du Super Bowl, dévoilant par la même occasion son dixième album, Coming Home. D’autres artistes apportent leur pierre à l’édifice comme Brittany Howard, chanteuse du groupe américain Alabama Shakes, qui publie son deuxième album solo intitulé What Now, sur lequel le spectre de Prince plane, à la croisée des sonorités synthétiques 80′s, de la soul bien sûr, mais aussi d’un rock totalement décomplexé. Après avoir fait ses débuts en 2018 avec l’album Soil, et avoir pris une stature internationale avec Deacon en 2021, le producteur soul électronique débridé serpentwithfeet revient avec le superbe Grip. Un projet curieusement jouissif qui convoque les codes R&B contemporain en les déstructurant sans cesse, et qui, contrairement à ses prédécesseurs, s’oriente vers la sensualité et les musiques club.

BLUES/COUNTRY/FOLK (Stéphane Deschamps)

Qobuzissime dès sa sortie début février, Hello I’m Britti, le premier album de l’Américaine Britti passe bien l’épreuve des semaines et des écoutes en boucle. Et ce savant et savoureux mélange de soul et de country se déguste parfaitement au même menu que le 1975 des Français Malted Milk, passés maîtres dans l’art de la rétro-soul en soie façon Al Green.

Côté country, les trémoussements épileptiques au fond du bois sont garantis sur le Chains & Stakes des Canadiens The Dead South. Du bluegrass alternatif, traditionnel dans la forme mais très rock’n’roll dans l’esprit, qui ravira les amateurs de musique pour danser le pogo en bottes biseautées. Dans un registre plus rock et même country-rock, voire desert-rock, le Waiting for the Piano to Fall de l’Anglais Nick Wheeldon vous emmènera dans un western plein de souvenirs, dont vous n’aurez pas envie de sortir. Well done, Wheeldon.

Et les fondations de tout ce qui précède, c’est sur Song Keepers, A Music Maker Foundation Anthology qu’on les retrouve. Un copieux coffret qui compile 85 titres de musique américaine roots enregistrés au fil des 30 ans d’activité de la fondation Music Maker (qui vient en aide à des musiciens précaires et a révélé quelques phénomènes).

Mary Timony, Kali Malone, MGMT, Brittany Howard & Vijay Iyer Illustration by Jess Rotter