Avec « Corridors », l’un des batteurs les plus doués de sa génération, adoubé par Charles Lloyd et Terrence Blanchard, signe un magnifique disque en trio, soulignant un peu plus la finesse et la richesse de son jazz. Dans un contexte délesté d’instruments harmoniques, le Texan va à l’essentiel et c’est grandiose.

Le confinement a imposé aux artistes de nouvelles règles du jeu ainsi qu’une longue pause pour penser, voire repenser, leur art… Dans son appartement new-yorkais, le batteur Kendrick Scott a eu le temps d’arpenter les couloirs (Corridors) qui inspirent le titre de son sixième album en tant que leader, le troisième pour le label Blue Note, après les excellents We Are the Drum (2015) et A Wall Becomes a Bridge (2019). « Je me suis surtout demandé comment la vie avait changé pour chacun. Qu’est-ce que les gens font, enfermés chez eux ? De là m’est venue cette image des couloirs. Quand vous pensez à un couloir, cela implique vraiment le mouvement, aller d’un endroit à l’autre. Mais maintenant, tout le monde stagne à l’intérieur d’eux… » À 42 ans, le Texan diplômé du Berklee College de Boston n’a jamais vraiment stagné, lui. Au point que le trompettiste Terence Blanchard, un des premiers grands à l’avoir repéré, a dit un jour qu’il était le Art Blakey, le Elvin Jones et le Tony Williams de sa génération ! Rien que ça ! D’autres grands comme Charles Lloyd, Pat Metheny, Joe Lovano ou Kenny Garrett se sont également offert les services de ce batteur d’une rare finesse. Cette fois pourtant, Corridors zoome exclusivement sur le génie de Kendrick Scott. Scott le musicien. Scott le compositeur. Scott l’arrangeur. Scott le passeur. Scott l’horloger.

Kendrick Scott -Threshold (Official Video)

Blue Note Records

Le batteur de Houston se lance ainsi dans son premier enregistrement en trio saxophone/basse/batterie avec Walter Smith III et Reuben Rogers. « J’écris souvent sur quelque chose que je vis, que je traverse, mais pour ce disque, je voulais faire un zoom arrière de mon point de vue et à la place, essayer de gérer celui de tout le monde. La pandémie a forcé chaque individu à faire face à l’ombre qu’il fuyait. » À l’origine commissionné par la programmatrice Rio Sakairi pour la série Artist Fellowship de la Jazz Gallery à New York, Corridors propose huit compositions originales et une reprise d’Isn’t This My Sound Around Me? du vibraphoniste Bobby Hutcherson.

On est bien loin du foisonnement de son brillant A Wall Becomes a Bridge (qui accueillait même un DJ sur certains titres !) que Kendrick Scott avait enregistré avec sa formation Oracle plutôt articulée autour de la guitare et du piano. Ici, le trio resserre les boulons mais pas le champ de vision. C’est la force de ce grand disque : voir large avec juste un sax, une contrebasse et une batterie. Les tensions s’effacent au profit de séquences formellement plus nuancées. « Une de mes forces est de créer un espace harmonique pour les groupes. Et le trio m’a donné encore plus d’espace pour que, moi aussi, je sois plus libre d’interpréter toutes les couches. Reuben navigue d’une manière si authentique et pleine d’amour et son jeu en est le reflet. Il est l’élément liant, bien ancré et très motivant. Et Walter a ce son qui a toujours été si beau et inspirant pour moi. Parmi mes pairs, il a toujours été un guide pour m’aider à rassembler mes idées. »

Tout au long de Corridors, la connivence entre ces trois-là est stupéfiante. Et les interactions, virtuoses ou surprenantes, propulsent l’album vers les sommets. Rien de balisé ou de prévisible. Comme sur One Door Closes, Another Opens et A Voice Through the DoorKendrick Scott se met même à chanter, au loin. « J’adore chanter sur mes disques mais sans mettre ma voix très en avant. Je chante sans cesse, donc c’est juste une petite fenêtre montrant comment j’entends la musique au fond de moi. »