Avec son passionnant nouvel album "Eclipse", la grande violoniste américaine réunit des pièces de Dvořák, Sarasate et du encore trop confidentiel Ginastera !

Pour l'album Eclipse paru chez Deutsche Grammophon et réalisé immédiatement après les périodes de confinement, la violoniste américaine Hilary Hahn propose un programme très original comme elle les apprécie, interprété avec le Frankfurt Radio Symphony dirigé par Andrés Orozco-Estrada. Grande surprise, la présence du Concerto pour violon, Op. 30 d'Alberto Ginastera (1916-1983), compositeur argentin majeur du XXe siècle, dont l'œuvre est encore trop peu défendue, et pourtant, que de chefs-d'œuvre flamboyants et personnels écrits pour l'orchestre, le piano, sans oublier la scène (Bomarzo).

Hilary Hahn & Andrés Orozco-Estrada – Dvořák: Violin Concerto in A Minor, Op. 53, B.108: III. Finale

Deutsche Grammophon - DG

Ginastera se distingue dans un premier temps par sa "sublimation" du patrimoine traditionnel sud-américain, avec incorporation, dans les moindres recoins de son écriture, des rythmes de danse argentines et leurs mètres si spécifiques (tango, milonga, gato, etc.), coulés dans une orchestration très inventive et absolument personnelle. L'orchestre de l'Argentin frappe instantanément, et il entretiendra toujours sa puissante singularité sonore. Au début des années 1960, le style de Ginastera se radicalise, et devient plus aride. Il intègre toujours plus des éléments propres à l'esthétique sérielle. Le Concerto pour violon date de la période (1963), où justement, son langage a déjà évolué; il est d'ailleurs étonnant de constater que ses grandes partitions concertantes (Premier Concerto pour piano, Premier Concerto pour violoncelle) ont été écrites dans les années 1960, période d'intenses expérimentations.

Hilary Hahn - Sarasate: Carmen Fantasy, Op. 25: I. Moderato

Deutsche Grammophon - DG

En trois mouvements, très libres dans leur forme, le Concerto pour violon demeure une œuvre ardue, tant pour le soliste que pour l'orchestre. Il commence avec une grande cadence pour le soliste, puis une série de six "studii", censées exploiter une particularité du jeu de violon (pour les accords, pour les tierces, etc.), comme si Chopin ou Paganini avaient jeté leurs propres œuvres un siècle plus tard, en les augmentant de textures orchestrales aussi foisonnantes que bigarrées. Le second mouvement, un Adagio per 22 solisti, assez typique de l'écriture de Ginastera pour cordes seules, apporte une légère accalmie à l'architecture globale, avant un Scherzo lui-même divisé en deux parties, et qui permet à l'Argentin de clore son œuvre sur un moment des plus virtuoses, un Perpetuum mobile, dont Hilary Hahn assume le ton agité et hallucinant. Génial moment d'Eclipse.

Étonnant ensuite d'entendre la Fantaisie-Carmen de Sarasate - contraste vraiment perturbant, mais qui permet de revenir à un XIXe siècle plus rayonnant que célèbre aussi le Concerto pour violon d'Antonín Dvořák, que les violonistes du XXIe siècle, interprètent, heureusement, de plus en plus souvent. Ici, chez Dvořák, Hahn et Orozco-Estrada, sont davantage sensibles à la forme fluide de l'œuvre, qu'à son caractère champêtre ou lyrique. Un album absolument passionnant, en tous cas.

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