La metteuse en scène Alexandra Lacroix et le chef Benjamin Fau donnent l’unique opéra de Purcell au Théâtre Mouffetard à Paris jusqu’au 8 janvier. Rencontre.

Jusqu’au 8 janvier, Didon et Enée d’Henry Purcell s’est installé à Paris au Théâtre Mouffetard grâce à la jeune compagnie Manque Pas d’Airs. Alexandra Lacroix qui met en scène cet unique opéra de Purcell et Benjamin Fau qui en assure la direction musicale évoquent leur travail.

Comment avez-vous abordé la partition de Purcell pour cette production et quel type de documentations et/ou de recherches vous ont servi ?

Benjamin Fau : La partition de l'unique opéra de Purcell ne nous est parvenu que par l'intermédiaire de copies réalisées au moins cinquante ans après la mort du compositeur. Le manuscrit original étant perdu, toute production de cet opéra impose donc bien plus de choix arbitraires qu'un autre dont les sources seraient indiscutables (instrumentation, choix d'intermèdes dansés optionnels par exemple). Nous avons donc profité de ceci pour adapter la partition à l'effectif de notre compagnie. Par ailleurs, il a été découvert depuis peu que cet opéra était bien destiné à un spectacle de cour et que l'effectif instrumental et vocal en était assez modeste ; cela nous a confortés dans notre approche de l'œuvre en tant qu'opéra de chambre.

Pour cette production, nous avons utilisé la source musicale la plus proche de Purcell, qui est le manuscrit dit de « Tenbury ». Nos choix musicaux ont été effectués à partir de celui ci car toutes les éditions ultérieures durant le XIXe et le XXe siècle s'y réfèrent (y compris la version élaborée par Benjamin Britten) et n'apportent que des propositions plus ou moins arbitraires sur la façon dont la musique de Purcell devrait être jouée. Dans notre adaptation, nous avons pu conserver l'intégralité de l'œuvre à l'exception de deux danses dont l'écriture ne se prêtaient guère à une interprétation au clavecin. Enfin, l'ajout d'une création sonore, particulièrement en évidence lors de deux scènes intimes entre Didon et Enée nous est apparu comme une évidence, favorisant un dialogue renouvelé entre l'imaginaire du spectateur, l'histoire qu'il suit et la somptueuse musique de Purcell.

Pourquoi avoir opté pour des chanteurs alternant entre leur rôle de soliste et leur participation au chœur ?

Alexandra Lacroix : Nous avons non seulement demandé aux chanteurs d'alterner entre leur rôle de soliste et leur partition au chœur mais aussi d'interpréter plusieurs rôles de soliste. Nous avons condensé ces rôles autant que possible, tout en gardant une cohérence maximale, afin de rester dans un équilibre harmonieux avec le plateau du Théâtre Mouffetard et d'impliquer chaque chanteur/acteur dans l'action. Car jouer dans un théâtre, sans la distanciation de la fosse d'orchestre et dans les proportions plus réduites qui lui sont généralement attribuées, exige au chanteur un jeu et une expression corporelle dynamiques et spontanés. La proximité privilégiée avec le chanteur ne peut être un atout que si le jeu est aussi investi et naturel que celui de l'acteur. J'ai souhaité que chaque chanteur participe au déroulement de l'action du début jusqu'à la fin, tous portent la responsabilité du drame final.

Transposer aujourd’hui une œuvre du XVIIe siècle était une évidence pour vous ? Est-ce un moyen nécessaire pour attirer les jeunes générations vers l’art lyrique, genre qui ne les captive aujourd’hui pas spontanément ?

Alexandra Lacroix : Je me suis longuement posée la question de la période juste dans laquelle projeter l'aventure de Didon et Enée mais il ne m'a semblé qu'aucune ère ne prédominait. L'histoire d'Elissa, appelée par la suite Didon fut reprise par Virgile qui a rapproché la reine du héros troyen puis par Purcell qui a lui-même adapté l'histoire des deux amants à son époque, lui donnant une issue morale et politique. L'histoire subit chaque fois des changements notables tels que la transformation de la sœur Anne en suivante Belinda ou du héros Enée en antihéros fat, lâche et inconstant mais les sentiments et enjeux universels que véhicule ce mythe restent toujours d'actualité. J'ai donc choisi de le placer dans une intemporalité qui souligne l'universalité de son sujet et permet au spectateur de se projeter facilement grâce à des codes visuels qui l'impliquent. Les références historiques n'en sont pas moins présentes... Dans cette même dynamique de fusion temporelle nous associons un clavecin à des sonorités contemporaines.

Démocratiser l'opéra et le rendre accessible à tous, amateurs comme non-initiés, implique la nécessité de prendre en compte ce qui éloigne l'opéra des gens et notamment des jeunes générations. Il n'est pas nécessaire de connaître tous les codes musicaux ni toutes les références mythologiques pour ressentir les émotions que l'opéra transmet. C'est un art populaire qui a aujourd'hui des allures élitistes que la Compagnie Manque Pas d'Airs tente de rapprocher de tous spectateurs. Dans cette optique, j'ai décidé de transposer l'œuvre dans une situation actuelle concrète, proposant des personnages aux attitudes naturelles pour le spectateur qui vient rêver et se projeter dans une histoire d'amour.

Le site du Théâtre Mouffetard

Le site de la Compagnie Manque Pas d’Airs