Sur son nouvel album “Eye Cube” (Versatile), le producteur français culte I:Cube milite pour plus de spontanéité dans la musique électronique.

Sur ce nouvel album, vous avez mis de côté l’ordinateur et le sampleur pour faire des jam-sessions. Qu’est-ce qui vous a poussé à changer de mode opératoire ? La lassitude de composer en point and click ?

Je suis lassé de ça depuis longtemps. L’ordinateur, c’est un super outil, mais je trouve qu’il faut s’en libérer. Quand on passe sa journée dessus, ça se ressent dans la musique. Et puis beaucoup de gens utilisent les mêmes grilles de tempos. Tout sonne un peu pareil, et tout sonne très bien parce qu’aujourd’hui, tu ne peux pas sonner mal. Cette espèce de perfection généralisée conduit à une sorte d’aplatissement, d’uniformisation, d’esthétique, de son. Donc je m’y retrouve plus dans un truc spontané.

Évidemment, ça sonne plus old school dans l’inconscient, parce que ce sont des vieilles machines, mais ça ne me dérange pas. Je ne suis pas pour faire un truc rétro mais ce sont des outils qui sont très pratiques pour faire de la musique en direct. Sur cet album, c’était beaucoup moins orienté sampling, plus techno, un peu comme je faisais au début. Tu as des machines qui tournent avec des séquences, c’est une sorte de live finalement, et les choses se passent – ou pas. Ce n’est pas comme passer du temps devant l’écran à éditer pour faire un truc hyper parfait. Là, c’est plus un flow.

L’idée, c’était d’extraire les meilleurs moments de ces sessions pour en faire des morceaux ?

Oui, la plupart des morceaux, c’est ça. J’enregistre en live puis je reviens dessus pour éditer un peu. Parce que souvent, ça dure très longtemps et ça évolue par plein de passages. Mais il y a un moment, il y a un passage, tu ne sais même plus comment tu l’as fait, et tu pars de ça. Tu peux rajouter des choses, éditer, mais c’est un truc que moi, je ne pourrais pas refaire en l’imaginant sur l’ordinateur – ou alors j’y passerais des heures...

Le parti pris, c’est de capturer un moment, une émotion presque.

Exactement. Et c’est aussi s’affranchir de cette conception de la production d’aujourd’hui où l’ordinateur est central. Là, il était un peu sur le côté, on va dire. Pas rejeté, je ne reviens pas au multitrack cassette, parce que c’est quand même pratique. Mais avoir les deux, c’est bien. En tout cas, moi, j’avais besoin de ça. J’aimais l’idée de partir d’un matériau qui est là et que tu ne peux pas trop changer. Tu dois faire avec. Ça, déjà, c’est quand même pas mal. Accepter le fait que le morceau ne sera pas parfait. Une fois que tu l’as accepté, ça va beaucoup mieux.

C’est une difficulté pour beaucoup d’artistes, savoir achever un morceau.

Oui, j’ai eu ce problème pendant très, très longtemps. J’ai accumulé des milliers de tracks qui ne seront jamais finis. Et justement, cette façon de faire, c’est très libérateur parce qu’au moins, quand tu fais quelque chose, c’est là, c’est achevé. Après, en réécoutant, tu te peux dire « Ouais, c’était horrible », mais au moins, il y a quelque chose. Alors que l’ordinateur, c’est le confort. « Oui, mais je peux revenir demain. » Tu ne finis jamais. La journée d’après, tu n’es pas dans le même mood. Il y a un truc qui s’est passé, la météo n’est pas la même, quelqu’un était en train de lire un livre pendant que tu jouais… Tous ces paramètres, tu ne les retrouveras pas sur ton ordinateur le lendemain. Et puis avec l’ordinateur, à force de revenir dessus, le morceau devient plus tiède, tu aplatis un peu les intentions, Tu arrondis les angles et tu vas te retrouver avec un truc qui est cool, qui est peut-être mieux même que tu aurais pu imaginer, mais qui a perdu l’intensité de la démo de départ. Ça m’arrive souvent.

Sur M Megamix, votre album de 2012, c’était déjà des petits bouts de morceaux non achevés.

M Megamix, c’est une espèce d’hommage à 30 ans de dance music, mais en mode un peu radiophonique, parce que j’aime bien ce format. Il y avait aussi l’idée de sortir du format DJ très codifié, avec les deux minutes d’intro obligatoires. Et puis c’est vrai que je voyais toutes ces ébauches s’accumuler sur mon ordinateur ; alors j’ai dit « Vas-y, on les sort comme ça ».

Quand tu travailles sur un titre, tu ne penses pas à sa durée de vie au-delà de six mois.

Et comme sur M Megamix, sur ce nouvel album, il y a un peu de tout en termes de styles : de la techno, du rock, du dub même sur Kaszio plus 1 ; et puis La Grotte aux fées, un titre complètement psychédélique, un des sommets de l’album.

Kaszio plus 1, oui, c’est un hommage à ce petit clavier des années 80, le Casio MT-40 qui est à l’origine du Sleng Teng, le premier titre de reggae digital. Ce titre, c’est un mélange entre dub digital et new wave belge. La Grotte aux fées, c’est une espèce de valse de machines. J’aime bien rentrer dans une séquence comme celle-ci, tu rentres dans un univers, un décor, où, soniquement, il se passe quelque chose. Ce titre, c’est l’exemple parfait du morceau que je serais incapable de refaire. Voilà, au lieu de t’acharner sur un track sur Ableton et finir frustré, là, comme c’est spontané, tu gardes cette énergie et cet émerveillement.

Avec combien de projets jonglez-vous en ce moment ?

Il y a Château Flight, mon projet avec Gilb’R, le patron de mon label Versatile : on a un album qui est presque fini, ça sortira d’ici six mois. Après j’ai le projet Chimère FM, avec John Cravache, on a fait un album un peu plus dark. Je ne sais pas comment décrire cette musique, c’est un peu comme une BD de science-fiction. J’ai aussi un projet un peu plus pop avec une copine qui s’appelle Alma Vox. On avait fait une reprise de Toi mon toit d’Elli Medeiros il y a quelques années. Là, on a d’autres morceaux un peu moins pop, et je chante un peu. Enfin, j’ai un projet avec mon fils. C’est un peu techno mais pas super rapide, c’est assez lourd et comme il vient du metal, il y a une énergie différente ; ça va peut-être voir le jour un jour.

ALMA VOX - Toi mon toit

Versatile Records

On vous appelle toujours pour faire le DJ en club ?

Non, j’ai quand même pas mal calmé le côté DJ. Maintenant, j’essaye plus de faire des live, un peu comme je l’ai fait sur cet album. J’en ai quelques-uns prévus au printemps, c’est un peu comme si j’amenais le studio sur scène. Le public accepte mieux quand c’est en live parce que, justement, tu sors du format dancefloor. Après, j’aime bien jouer dans des endroits différents du club traditionnel. Le format live, j’aimerais bien l’exploiter plus parce que je m’amuse plus. Il y a plus de prise de risque, plus d’adrénaline, plus d’intensité.

Vous aurez 50 ans en 2024, ça fait trente ans que vous faites de la musique. Est-ce que vous pensez parfois à ce que vous avez laissé ? Et est-ce que vous en êtes satisfait ?

Parfois, je crois que j’ai laissé des trucs que je n’aurais pas dû laisser ! (Rire.) Le paradoxe, c’est qu’on sortait plus de choses avant, c’était plus facile. Et aujourd’hui, je regrette, parce que j’ai plus de trucs à sortir ! Et avant, il y a des trucs que je n’aurais pas dû sortir ! Mais bon, c’est comme ça. Et puis de toute façon, tout est faussé entre ce que je pense et la perception des gens.

C’est vrai, la réalité de l’artiste, c’est la perception.

Ouais, je ne sais pas la perception qu’ont les gens. Mais de mon côté, je suis content. Déjà de ne pas être fatigué par ce truc, J’aurais pu arrêter pour X raisons. Il y a plein de gens, dans le circuit DJ surtout, qui ont changé de boulot. Ce qu’on produit aujourd’hui tiendra peut-être plus dans le temps, on verra. Mais à part si tu es un visionnaire de la musique, quand tu travailles sur un titre, tu ne penses pas à sa durée de vie au-delà de six mois.

C’est peut-être ça la fameuse maturité du musicien, penser à ce qu’un morceau va laisser comme trace dans plus de six mois !

Oui, et puis se dire qu’il ne vaut mieux pas le sortir ! (Rire.)

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