On l’attendait autant qu’on le redoutait !
Soucieux de soigner le retour du pianiste, Sony Classical – adieu Deutsche Grammophon – a déroulé le tapis rouge. Enregistré au Schloss Elmau et au Concert Hall de Raiding – Beethoven dans la première salle, Rachmaninoff dans la deuxième – ce nouvel album offre un son ample à la réverbération dosée. De quoi accueillir la rugosité du jeu d'Ivo Pogorelich ainsi que ses nuances plus tendres. Une main de fer gantée de velours. Pogorelich ne cherche pas à séduire, comme en témoigne cette version de la Sonate n° 27, op. 90 de Beethoven dans un tempo délibérément moins allant, fruit d'une approche analytique de l'œuvre :
Ivo Pogorelich – Beethoven: Piano Sonata No. 27 in E minor, Op. 90 (1987)
Max LimaDe Rachmaninoff, il choisit la Deuxième Sonate en si bémol mineur, op. 36 dans sa version originelle non raccourcie et dont les nombreuses sections dépaysent l’auditeur qui se perd avec le musicien dans une errance hallucinée. Pogorelich nous y conduit progressivement et nous apprivoise d’abord avec deux œuvres d'un Beethoven rare au disque si l'on excepte les intégrales : ses Sonates n° 22 en fa majeur, op. 54 et n° 24 en fa dièse majeur, op. 78. Le répertoire choisi est donc à la fois sage (deux figures majeures du répertoire), ambitieux (des partitions exigeantes) et généreux (justement pour les raisons qu’on vient d’évoquer).
Serions-nous donc en terrain connu ? Rien n’est moins sûr car l’interprète empoigne littéralement les partitions, déployant un discours héroïque dans un souffle puissant. Mais Pogorelich reste ce musicien expressif scrutant les textes avec autant de malice que d’âpreté, en dépit de tempos souvent plus lents. Le programme en est comme rétro-éclairé par une vision personnelle des œuvres.