Avec leur nouvel album « A Matter of Time », les pionniers de la britpop Shed Seven font un retour fracassant dans le haut des charts ! Le chanteur Rick Witter nous raconte comment le groupe a su dépasser les tournées nostalgiques pour composer de nouvelles chansons.

Trente ans après votre premier disque, vous voilà enfin au sommet des charts britanniques avec A Matter of Time. Est-ce que ça valide le titre après coup ?

Pour ce disque, on n’a pas procédé autrement que pour tout le reste. On s’est posés ensemble, on a décidé d’écrire une série de chansons, et advienne que pourra. On ne peut jamais savoir ce qui va fonctionner et à quel moment ça va fonctionner. L’album s’est classé n° 1 et c’est génial, mais ce n’est pas sorti de nulle part. On a investi des tonnes de travail pendant des années pour en arriver là.

Il y a eu beaucoup de travail de terrain, plein de concerts, on a aussi bossé sur la promo… Il y a six sept ans, on a sorti un disque qui était notre première nouveauté depuis seize ans. Rétrospectivement, on peut le voir comme un ballon d’essai, histoire de vérifier qu’on avait encore la gnaque, qu’on avait encore notre place dans tout ça… Et en 2022, quand on a commencé à réfléchir au nouveau disque, on se sentait super libérés. C’était presque comme si on n’avait pas de limites, on était en état de grâce avec Paul sur la composition, tout collait, tout fonctionnait, et je pense que notre musique traduit ça, un peu. C’est un album très joyeux.

Vous avez dit dans une interview récente que les influences de votre jeunesse, comme U2 ou Simple Minds, se faisaient plus sentir sur A Matter of Time que sur vos albums précédents.

Avec Paul, on s’est rencontrés à 11 ans. Et avant de commencer à écrire A Matter of Time, on est partis dans une grande discussion sur notre rencontre, les groupes qu’on aimait tous les deux, il y a des tas de souvenirs qui sont remontés. Par exemple, quand on avait 12 ans, chez moi dans la cuisine, et qu’on écoutait « Welcome to the Pleasuredome » de Frankie Goes to Hollywood en faisant semblant d’être le batteur et le guitariste… Ou quand on écoutait Simple Minds et U2 dans sa chambre. Paul était à fond Simple Minds, moi davantage fan de U2.

On a écrit l’album avec ces souvenirs en tête, alors que sur les précédents, on s’inscrivait un peu plus dans l’esprit des Stone Roses ou des Smiths. Là encore, je crois que ça transparaît dans la musique. Mais on a aussi glissé quelques allusions au passé de Shed Seven dans les paroles. J’évoque Chasing Rainbows (sur Let It Ride, 1998) dans Let’s Go Dancing : « They always said we should chase the rainbows », un clin d’œil affectueux à ce qui est sans doute notre chanson la plus connue. D’autres passages aussi ont un rapport avec ce qu’on a fait par le passé. Donc ce disque, par certains côtés, c’est une lettre d’amour aux ados qu’on a été.

Pour la première fois, sur A Matter of Time, vous avez des invités : Rowetta, Laura McClure, et le nom qui retient peut-être le plus l’attention : Pete Doherty, sur Throwaways. Comment s’est passée votre rencontre ?

Ça a été une vraie surprise. Comme on n’avait jamais eu l’occasion de croiser The Libertines, je partais du principe qu’eux-mêmes n’avaient jamais entendu parler de nous. Alors le jour où pendant un festival, j’ai vu Pete, sur le bord de la scène, qui chantait toutes les paroles avec nous, ça m’a fait quelque chose. Après le show, je suis allé me présenter et j’ai dit à Pete : « Écoute, je ne savais même pas que tu nous connaissais. » Il a répondu : « Mais si, quand j’étais ado, j’apprenais les morceaux de Shed Seven dans ma chambre sur ma guitare acoustique et je chantais les paroles » – je ne m’y attendais pas du tout. À ce moment, on avait déjà une invitée : Rowetta sur In Ecstasy, et je me suis dit que ça ne pouvait pas faire de mal d’inviter quelqu’un d’autre.

Il a dit oui avant même d’avoir entendu la chanson, ça m’a fait plaisir… Cette chanson, c’est un peu l’hymne des outsiders, des jeunes qui ne sont pas intégrés, pas populaires. Avec Shed Seven, on était un peu comme ça dans les années 90. On était le groupe un peu à l’écart de la britpop. On n’a jamais joué en Ligue des champions, toujours en deuxième division, toujours avec cette impression de nous incruster dans la fête, et les Libertines ont un peu le même parcours, je trouve. Donc c’était une chanson vraiment bien choisie, et je trouve que nos voix vont très bien ensemble. J’espère qu’un de ces jours, on pourra la chanter ensemble sur scène.

Comme les Libertines, Shed Seven a splitté, en 2003, avant de se reformer quatre ans après. Qu’est-ce qui vous a donné envie de repartir ?

On a reformé le groupe en 2007 parce que la scène nous manquait. On n’avait plus joué ensemble depuis quatre ans, mais on s’entendait toujours bien. On habitait toujours York et bien sûr, on se croisait, on allait boire des pots, et à un moment, on s’est dit : pourquoi ne pas organiser quelques dates à la fin de l’année ? Parce que, quand on apprend un instrument, c’est bien pour en jouer devant les autres. Et ce côté-là nous manquait.

Fin 2007, on a donc donné une série de concerts juste pour le plaisir. On ne se doutait pas qu’il y aurait autant de demande… On a dû passer dans des salles plus grandes et ajouter des dates. C’est seulement à ce moment-là qu’on a réalisé que ce qu’on avait fait dans les années 1990 avait marqué des gens. Parce qu’à l’époque, on était tellement pris dans le mouvement qu’on n’avait pas le temps de s’arrêter pour réfléchir. Voir tout ce nouveau public heureux de chanter nos chansons qui avaient déjà 12 ans à l’époque…

Entre 2007 et 2015, on a continué comme ça, on reformait régulièrement le groupe pour faire une grosse tournée. Les places se vendaient bien, les gens repartaient chez eux contents d’avoir chanté Getting Better, Going for Gold, On Standby, Bully Boy, Disco Down, etc.. Et ça aurait pu durer. Et puis il y a eu cette répétition…

On est en train de réviser de vieux morceaux, et Paul se met à jouer un riff de guitare. Je lui demande : « C’est quoi, ça ? », il me répond « J’en sais rien, ce qui me passe par la tête. » Je saute sur un carnet pour griffonner des idées de paroles qui vont avec la musique, et c’est comme si on avait à nouveau 18 ans. C’est devenu Nothing to Live Down, sur Instant Pleasures. Après ça, on a amassé une douzaine de chansons et c’est comme ça qu’est sorti Instant Pleasures, en 2017. Presque par accident. Par contre, de nous être botté les fesses comme ça pour sortir un album après seize ans, ça a été hyper libérateur. Et c’est ce qui explique aussi, à mon avis, que A Matter of Time sonne aussi enthousiaste, c’est parce qu’on l’a créé sans contraintes, sans soucis. On a fait ce qu’on avait envie de faire, point, et je suis sûr que ça s’entend.

Vous appelleriez ça comment ? Un album rechute ?

Exactement. On avait mis tout ça de côté, on n’avait rien prévu. Mais aujourd’hui, je suis très content qu’on l’ait fait cet album, parce que sinon, on serait peut-être encore en train de repartir en tournée de temps en temps pour jouer Disco Down ou Getting Better » ; et c’est top, mais à force, on aurait fatigué, on se serait mis à jouer comme des vieux cons. Alors que là… J’ai 51 ans mais franchement, j’ai l’impression d’en avoir 28. C’est comme si on m’avait donné une deuxième vie.

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