Après les circonvolutions brumeuses et électriques de « Yawn », le songwriter de West Kirby, cette bourgade lovée dans la péninsule de Wirral, entre Liverpool et le pays de Galles, met un terme à cinq années troubles avec « Iechyd Da ». Un cinquième disque plus complexe, organique et gorgé de cordes, où la mélancolie laisse place à la lumière. Rencontre. 

Qu’est-ce qui guide le plus votre création ?

C’est dur parce qu’il y a plein de raisons qui me poussent à créer. Il est plus facile de délier les choses qui m’arrivent si je les exprime en musique. Je souffre de TDAH (trouble déficit de l’attention avec hyperactivité) et j’ai du mal à me concentrer sur une seule chose. La musique m’aide à me canaliser. Je vais aussi à elle pour combler ce besoin d’attention, de connexion, de solitude. C’est également une bonne façon d’affronter le temps… Quand je travaille sur un morceau, il n’y a plus grand-chose d’autre qui compte. Je suis moins tourmenté.

Est-ce qu’il y a un besoin plus important que les autres ?

Le vrai besoin, c’est celui de me sentir moins seul. Car je le suis en permanence. Je n’ai ni copine, ni enfants, ni vie sociale particulière. La musique est une compagnie. Mais ce qui a récemment guidé les paroles et les mélodies, ce n’est pas la solitude mais ma tristesse, mon agoraphobie, mon penchant pour l’alcool et deux douloureuses relations.

Est-ce que ça marche ?

Non. La musique ne va rien changer. Elle arrange mais ne guérit pas. Mais ça va… Elle peut aussi paradoxalement isoler. Me préoccuper d’autre chose, ce serait bien. Aller à la gym, payer mes factures…

Vos morceaux parlent souvent du temps qui passe, comme If Tomorrow Starts Without Me et It’s Today Again sur Iechyd Da, ou Time Will Be The Only Savior sur Yawn. Quelle est votre relation au temps ?

Une grande partie de moi reste ancrée dans des traumatismes survenus très jeune. J’en suis très conscient. Il est très difficile pour moi d’avancer dans ma vie, de les oublier. J’ai très souvent des flashbacks. Je travaille en thérapie depuis des années sur ce qui m’est arrivé. Je n’ai pas l’impression d’avoir 40 ans. J’ai encore peur, je me sens un peu comme un enfant. Je ne suis pas du tout à l’aise avec le temps qui passe. C’est comme voir ses parents vieillir. Surtout ma mère. Qui boit plus que moi et qui a eu une sorte d’accident vasculaire cérébral il y a quelque temps. Je n’ai pas de frères et sœurs. Et puis c’est bizarre de connaître la date à laquelle tout s’est écroulé, où tous tes problèmes ont commencé, car elle revient chaque année… Ça te hante, donc c’est dur de passer à autre chose. Voilà pourquoi j’en parle beaucoup.

Bill Ryder-Jones - If Tomorrow Starts Without Me (Official Video)

Bill Ryder-Jones

Entre Yawn et Iechyd Da, cinq années se sont écoulées. Qu’avez-vous fait ?

Pas grand-chose. J’ai enchaîné deux ruptures amoureuses. Deux relations ratées. J’ai travaillé mais je suis retombé dans la drogue et l’alcool. Ça prend beaucoup de temps. J’ai déménagé aussi.

Après Yawn, Iechyd Da semble porté par la joie et l’amplitude, avec toutes ses grandes envolées de cordes.

Yawn n’était pas super amusant à jouer en concert et ce n’était pas plaisant non plus d’en faire la promotion. Le disque m’a tiré vers le bas. Je pensais que c’était ce que je voulais, mais c’est horrible de revivre cet album. Une grande partie de la musique que j’écoute est tant remplie de beauté qu’elle te pousse à embrasser le monde, à te dire combien il est beau. C’est ce que j’ai voulu faire. Les gens m’ont toujours dit que ma musique, même triste, les rendait heureux. Mais ça n’a pas été facile parce qu’une grande partie de l’album était déjà composée.

Bill Ryder-Jones
Bill Ryder-Jones © Marieke Macklon

Ces cinq dernières années ont été tellement dures qu’elles ont causé des dommages. J’avalais une demi-bouteille de vodka, trois ou quatre Valium tous les jours… Ça va beaucoup mieux maintenant. Mais je ne me sens plus aussi rapide qu’avant. La musique me venait très facilement et je réfléchissais très vite. Maintenant, il m’arrive d’oublier ce que je dis et ça m’inquiète. J’ai dû rendre ma musique un peu plus joyeuse, parce que les choses allaient beaucoup trop mal. Il fallait qu’elle porte plus d’espoir, car j’en ai beaucoup en moi. Je suis quelqu’un de très positif. J’aime m’amuser et rire. Je ne reste pas chez moi à pleurer en permanence.

Le clip du single This Can’t Go On et la pochette d’Iechyd Da mettent tous deux en image la même petite ville de Crail, en Écosse. Qu’est-ce qui est venu en premier, la pochette ou le clip ?

J’ai d’abord choisi la pochette et quand James Slater, qui réalise la plupart de mes clips, m’a demandé ce que je voulais pour la vidéo, je lui ai proposé d’aller là-bas. Je n’étais pas là quand il l’a tournée, car je produisais un disque. Mais j’aime laisser les gens doués faire ce qu’ils savent faire. Tout simplement. Il avait une idée et je lui ai dit go. C’est lui qui a trouvé le gamin qui apparaît dedans.

Bill Ryder-Jones - This Can't Go On (Official Video)

Bill Ryder-Jones

Et la pochette ?

Je l’ai trouvée sur Instagram. Je commençais à stresser pour trouver un titre et un artwork, alors que pour mes albums précédents, ça s’était fait assez vite. J’avais beaucoup d’options, mais quand j’ai vu cette peinture, j’ai su. J’ai appelé mon manager et lui ai demandé de prendre contact avec son auteur. J’espérais que ce soit un vieil homme avec un chapeau et une canne. Mais quand je l’ai suivi sur Instagram, j’ai vu qu’il était très beau et qu’il faisait de la gym tout le temps.

Qu’avait-elle de spécial, cette peinture ?

Je voulais que l’album soit un safe space pour les gens, et je trouvais la maison vraiment belle. J’avais envie d’en pousser la porte. J’aimais l’idée que l’on entre en elle et que le disque y vive. Que les gens puissent visualiser cet endroit. C’est un peu comme cet exercice de visualisation que je dois faire quand mon trouble dissociatif se manifeste (Les troubles dissociatifs impliquent une sensation de détachement de soi et/ou de son environnement, une incapacité à se souvenir d’informations personnelles importantes, un sens de la mémoire et de l’identité fragmenté, ndlr). Ton cerveau se détache du réel. Tu peux avoir l’impression d’être un géant ou d’être tout petit, tu perds la notion de distance, par exemple, mais pas seulement. C’est très déroutant. Quoi qu’il en soit, visualiser un endroit est l’une des astuces que l’on t’apprend à faire en TCC (thérapies comportementales et cognitives).

C’est le disque dont vous êtes le plus fier. Pourquoi ?

Parce que je n’étais pas particulièrement satisfait des deux précédents, West Kirby County Primary et Yawn. J’avais l’impression de ne pas faire de la musique que j’avais envie d’écouter, que les chansons étaient bonnes mais que je n’avais pas vraiment déroulé ma propre vision. Pour Iechyd Da, je me suis dépassé. J’ai travaillé très dur. Je suis très critique lorsque j’ai l’impression de ne pas avoir correctement produit un morceau. Je savais que je voulais y mettre beaucoup d’infos. J’adore les albums plus expérimentaux des Beatles, quand il y a beaucoup d’informations et d’idées. Mais il ne s’agit pas seulement de déborder d’idées. Il faut éditer, essayer et réessayer. Il faut du temps pour arriver à un vrai résultat. Cet album me ressemble aussi davantage. Celui-ci, je l’écouterai, alors que les autres non.

____________Concerts solo & tournée

Bill Ryder-Jones Tour
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Vendredi 12 janvier - Rough Trade East, Londres (solo) Samedi 13 janvier - Spillers, Cardiff (solo) Mardi 16 janvier - Monorail, Glasgow (solo) Mercredi 17 janvier - Piccadilly, Manchester (solo) Jeudi 18 janvier - Applestump Records, Nantwich (solo)

Plus d’infos : https://billryderjones.co.uk/