Le trio devenu duo revient avec un album aussi sombre que délicat sous le bras pour mieux faire son deuil.

Plus de quarante ans après sa formation, Depeche Mode continue de créer l’évènement à chaque sortie d’album. Mais cette fois, bien que présent sur tous les fronts médiatiques, le groupe né à Basildon se fait plus discret. Le duo Dave Gahan/Martin Gore a surtout besoin de reprendre contact avec la réalité et d’affronter sa nouvelle vie sans Andy Fletcher, membre fondateur du groupe décédé en mai 2022 alors qu’il avait à peine 60 ans et que les trois musiciens étaient en plein enregistrement du nouveau disque, Memento Mori. Un titre évocateur (“Souviens-toi que tu vas mourir”), déjà pensé en amont en raison des nombreux sujets traités au sein de ce disque sur lequel le groupe a commencé à travailler en pleine pandémie. La disparition de Fletch, si elle a pu influencer la manière dont a évolué la musique, n’est pas liée aux titres des chansons, ni à celui de l’album.

Si le line-up a quelque peu évolué au cours des quatre décennies d’existence du groupe, Andy Fletcher, fidèle au poste, a toujours reconnu qu’il était celui qui amenait des idées et quelques arrangements çà et là, sans jamais s’investir dans la composition de manière aussi intense que Martin Gore, et qu’il laissait les textes à Gahan. Un rôle d’électron libre « peu investi » selon un de ses anciens camarades de jeu, Alan Wilder, qui a causé des tensions au sein de la formation avant le départ du même Wilder en 1995. En dehors d’un break au cours du Devotional Tour de 1994, Fletch a toujours fait partie de l’aventure, qu’il avait lui-même initiée en compagnie de Vince Clarke en 1980 (qui a quitté Depeche Mode après le premier album pour de nouveaux projets dont Erasure).

Au cours de ces intenses années d’activité, Depeche Mode a tour à tour fait danser les foules avec des chansons comme Just Can’t Get Enough ou People Are People, hypnotisé son public avec une élégance sombre grâce à Behind the Wheel et Shake the Disease, explosé les charts avec l’incontournable Enjoy the Silence ou titillé son côté rock plus poisseux grâce à Walking in my Shoes et I Feel You. L’influence du groupe est énorme : pas de Rammstein sans Personal Jesus, pas de Nine Inch Nails sans Black Celebration… Doit-on rappeler que Derrick May et Juan Atkins, qui ont tant œuvré pour la scène techno de Detroit, intégraient de nombreuses chansons du groupe dans leurs sets au cours des années 80 ?

Malgré ces tubes incontournables, Depeche Mode a plus de mal à convaincre les médias et certains fans de la première heure au moment d’entrer dans le XXIe siècle. Si les albums possèdent de nombreuses qualités, ils peinent parfois sur la longueur. Seul Playing the Angel en 2005 remportera tous les suffrages. Paradoxalement, c’est la période au cours de laquelle le groupe anglais va remplir les arènes et les stades comme jamais, aménageant ses set-lists autour des grands classiques qui ont fait sa réputation. Contre vents et marées, Depeche Mode continue de passionner les foules. Mieux, Memento Mori renoue avec certaines vibrations qui ont contribué à rendre sa musique si unique et singulière, entre noirceur et mélancolie, un vrai sens de la mélodie porté par la voix de Gahan qui vient souligner le travail de composition réalisé avec Gore. Quarante ans après, Depeche Mode est toujours bien vivant.

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